L'exposition actuellement présentée au musée du Quai Branly-Jacques Chirac jusqu'au 14 septembre met en lumière l'une des missions ethnographiques les plus emblématiques de l'histoire de l'ethnologie française : Dakar-Djibouti (1931-1933).
Grâce aux recherches menées dans les archives ainsi qu'aux enquêtes de terrain, elle propose une perspective novatrice, interrogeant notamment les conditions dans lesquelles les objets "collectés" par l'équipe de 1931 ont été acquis.
"Tout cela jette une certaine ombre sur ma vie et je n’ai la conscience qu’à demi-tranquille. Autant des aventures comme celles des enlèvements du kono, tout compte fait, me laissent sans remords, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen d’avoir de tels objets et que le sacrilège lui-même est un élément assez grandiose, autant les achats courants me laissent perplexe, car j’ai bien l’impression qu’on tourne dans un cercle vicieux : on pille des Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer; c’est-à-dire, en fin de compte, à former d’autres ethnographes qui iront eux aussi les « aimer et les piller »". Lettre du 19 septembre 1931...
Ainsi en fut-il pour ce masque Dogon acheté le 5 novembre à Ireli au Mali, l'agenda de la mission précise : "Achat de masques aux danseurs de la société des masques ... pour la somme de 215 francs. Les propriétaires des masques les ont cédés à condition qu'ils soient dégagés de leurs responsabilités vis-à-vis du chef des masques d'Ireli"... et Michel Leiris d'écrire dans L'Afrique fantôme :
"Comme rituellement; ceux-ci ne peuvent se vendre, un subterfuge intervient qui satisfait les deux parties : il est entendu que nous réquisitionnons ; il est entendu aussi que, les danseurs d'Iréli étant de bons amis, nous leur faisons à chacun un cadeau en argent... Leur responsabilité ainsi dégagée, les danseurs sont très contents". Lettre du 5 novembre 1931.
Un autre aspect mérite d’être souligné dans cette exposition : la mise en lumière, lorsque cela était possible, des collaborateurs locaux—interprètes, informateurs, et autres acteurs essentiels longtemps restés dans l’ombre. Cette démarche se traduit par une série de beaux portraits, parmi lesquels celui de Mamadou Vad, ancien mécanicien des chemins de fer engagé entre Kayes et le pays dogon, du jeune écolier Mamadou Keyta, "recruté" à Bamako, ou encore du roi de Kétou au Bénin..
Photographies prises par l'autrice en mai 2025 au musée du Quai Branly Jacques Chirac.
Photo 1 : 47 objets saisis fin décembre 1930 dans une affaire de vol. Donnés le 12 décembre 1931 par l'administrateur colomial français Christian Merlo à Porto-Novo, Bénin. © MQB-JC 71.1931.74.2320 à .2366.
Photo 2 : Acheté le 3 septembre 1931 à Zangasso au Mali. Acquis ce masque et les accessoires pour la somme de 15 francs. Appartiennent à la société d'initiation korèduga © MQB -JC 71.1931.74.1771 à .1774 et .1776.
Photo 3 : Masque dogon dananè (chasseur) © M.QB-JC 71.1931.74.1908.
Photo 4 : Mamadou Vad, 27 août 1931, Bamako © M.QB-JC PP0030852.
Photo 5 : Mamadou Keyta, entre le 4 et le 27 août, détail de la photographie © M.QB-JC PP0030850.
Photo 6 : Le roi de Kétou, 14 décembre 1931, à Kétou, Bénin, détail de la photographie © M.QB-JC PP0031193.