Celle-ci se tiendra à la Société de Géographie 184 boulevard Saint Germain. 75006 Paris.
"Depuis les temps anciens, le concept de l’âme a occupé une place centrale dans les systèmes de croyances et les pratiques magico-religieuses des sociétés du monde entier. L’âme, en tant que concept immatériel donnant vie au corps, était déjà au cœur des interrogations philosophiques dans la Grèce antique. Ce sujet a continué à nourrir les réflexions philosophiques et théologiques et revêt encore aujourd'hui un rôle important dans les études anthropologiques, où il donne lieu à des interprétations diverses et souvent contradictoires.
Mais qu’entend-on par "âme" ? En effet, ce terme connaît une variabilité de sens selon les cultures.
Parfois assimilée à un principe vital, la notion d’âme regroupe des catégories qui échappent souvent à notre compréhension moderne. Dans certaines sociétés, plusieurs âmes coexistent au sein d’un même corps, tandis que dans d’autres traditions comme au Népal, le chamane fait revenir l’âme du patient, figurée par une poussière ou une brindille flottant sur une assiette d’eau.
Mais l’âme est intimement liée à son mouvement. Légère et impalpable, elle est associée au souffle vital qui anime la vie. Au cœur des pratiques rituelles, qu’elles proviennent des sociétés antiques, des civilisations extra-européennes ou de cultures judéo-chrétiennes, le déplacement de l’âme est un concept fondamental dans nombre de sociétés. Sa phénoménologie présente des échos insoupçonnés ou des résonances secrètes dans bien des cultures, à travers l’espace et le temps. Qu’il s’agisse d’un voyage, d’un déplacement ou d’une migration, ces rites, bien que variés dans leurs formes, reposent sur un fondement commun : le détachement de l’âme du corps et ses mouvements dans un autre plan de la réalité. De la métempsycose égyptienne et pythagoricienne à la conversion de l’âme platonicienne, de l’itinerarium mentis in Deum de Bonaventure aux voyages en esprit des chamanes inuit, des expériences extatiques des mystiques judéo-chrétiens aux déplacements de l’âme des traditions bouddhiques, les mouvements, migrations et transmigrations de l’âme ont occupé et occupent encore de nos jours une place centrale sous toutes les latitudes.
Qu’elles soient celles de défunts, de vivants, d’animaux-ancêtres ou d’esprits auxiliaires, les âmes jouent un rôle primordial dans la structure sociale et symbolique et le fonctionnement de ces sociétés.
Lorsqu’elles appartiennent à des spécialistes rituels, tels que les chamanes, elles permettent de combattre, comme dans les vols chamaniques, des entités pathogènes qui engendrent chaos et maladie, facilitent la communication avec les ancêtres et participent à restaurer l’ordre socio-spirituel. Aussi, lors des cérémonies funéraires, si les âmes des défunts ne sont pas correctement honorées par des offrandes alimentaires, des objets, des fumigations ou des chants, elles deviennent dans de nombreuses sociétés des fantômes, des âmes errantes. Ces âmes négatives hanteront les vivants et mettront en péril l’équilibre social et cosmique.
Cette journée d’étude interdisciplinaire se propose d’explorer la thématique des voyages de l’âme et des itinéraires en esprit dans une pluralité de cultures éloignées dans le temps et dans l’espace, dont elle cherche à cerner les singularités et les affinités (en termes de sens, de forme, de phénoménologie, etc.), les particularités et les récurrences. Et ce, en embrassant une approche ethnologique d’ambition humaniste, résolument compréhensive et volontiers comparatiste.
Quels rituels permettent-ils à l’âme de voyager et sous quelles formes, et pourquoi ces pratiques sont-elles essentielles à la survie spirituelle et sociale de ces sociétés ?
Qui sont ces êtres humains capables de maîtriser et de gérer les pouvoirs des âmes ? Enfin, peut-on identifier des caractéristiques récurrentes du voyage de l’âme ou ces pratiques sont-elles inextricablement liées à des contextes spécifiques, sociaux, écologiques, spirituels ou religieux ?
Cette journée sera aussi l’occasion de confronter les perspectives, de croiser les expertises, d’échanger sur les différentes approches ethnologiques mobilisées ainsi que d’enrichir notre compréhension d’un phénomène aussi complexe qu’omniprésent dans les cultures du sacré." Adrien Viel - Giulia Bogliolo Bruna - François Pannier - Laurence Mattet coorganisateurs
Photo : Composition réalisée à partir des photos suivantes de gauche à droite et de haut en bas :
Ouverture du rituel du ko’ch. La cuisine transformée en temple, Tadjikistan, en 2015. © Sylvie Lasserre - Illustration tirée de Le Champion des dames (1440) de Martin Le Franc, représentant des sorcières chevauchant leurs balais - Sculptures funéraires sakalava (côte ouest de Madagascar) in situ, attribuées au sculpteur Horatsy (circa 1920) © Sophie Goedefroit - Nalikateq (sculpture en os). Période thuléenne récente (début XXe siècle). Arctique. Coll. GBB. © Maria Giuseppina Bruna - Chamane tamang engagé dans un combat lors de son voyage en esprit. District de Kavrepalanchok, Népal, 2015 © Adrien Viel.