Beaucoup d'oeuvres d’art brut me bouleversent profondément. Bien sûr, pas toutes – et il reste difficile d'analyser pourquoi certaines me touchent davantage que d’autres. N'est-ce pas le mystère même de la création en général !
Dans l'"art brut", il est frappant cependant de constater que nombre de ses réalisations révèlent une véritable peur du vide, comme si l’expression devait absolument s’imposer, envahir l’espace. Cette parole intérieure, si impérieuse, semble ne pouvoir émerger qu’à travers une graphie serrée, étouffante, quasi illisible ; puisqu'elle traduit l'in-advenu.
J’ai déjà exprimé – notamment à travers
Inextricabilia – mon attachement profond à ces corps noués, enchevêtrés, comme mus par la nécessité de contenir, dans une étreinte compacte, un excès d’énergie et de puissance. Ils semblent emprisonner des objets pour toujours soustraits au regard.
La parenté formelle avec certaines figures de l’art rituel africain – en particulier vaudou – saute aux yeux, tout comme le trouble que provoquent les célèbres photographies d’Elie Lotar, saisies
aux abattoirs de la Villette,
(in Article Abattoir in Documents 6, 1929), où la mise en scène bouscule notre perception du réel.
Le Grand Palais accueille actuellement, et ce jusqu’au 21 septembre 2025, une sélection de la collection de Bruno Decharme donnée au Centre Pompidou en 2021. L’un des atouts de cette exposition réside dans la diversité géographique des oeuvres présentées, offrant une ouverture sur les expressions artistiques du monde entier. J’ai été particulièrement fascinée par certaines créations japonaises : elles vont de calligraphies aux accents presque classiques à des figures à la fois féeriques et inquiétantes au corps hérissé d’épines...

C’était aussi l’occasion de renouer avec les visages tourmentés d’Unica Zürn, un ensemble d’identités fragmentées qui nous entraînent vers le gouffre de ses personnalités. À l’opposé le visage de Georgiana Houghton nous engage dans un ailleurs impalpable : des formes fluides surgissent de la main médiumnique de l'artiste.
L'exposition toute entière réside dans une tension entre excès et évanescence, entre la pesanteur du dedans et la légèreté d’un monde invisible ou lointain.
Elle offre au visiteur une expérience sensible, un face-à-face avec ce qui ne se dit pas.
Photos de l'autrice lors de l'exposition Art Brut, Grand Palais, juin 2025 :
Photo 1 : Sans titre, 2006, pastel sur carton de Takashi Shuji.
Photo 2 : Sans titre, 2005-2012, feutres noir et rose sur papier d'Harald Stoffers
Photo 3 : Sans titre, assemblage d'éléments de récupération, branches de bois, cônes en carton, rubans bolduc, fils de laine, oeuvre de Judith Scott vers 1990.
Photo 4 : Sans titre, encre sur papier de Yuichi Saito, vers 2005.
Photo 5 : Sans titre, céramique de Shinichi Sawada, vers 2000.
Photo 6 : Sans titre, gouache et encre sur papier d'Unica Zürn, 1958.
Photo 7 : Sans titre, gouache, crayon de couleur, feutre et encre sur papier de Georgiana Houghton, 1967.