
Après l’accent mis par
l’exposition parisienne du musée Picasso sur l’art dit "dégénéré" relaté dans ma note précédente, on peut regarder certaines oeuvres des Avant-Gardes sous un autre angle.

Prenez par exemple, cette délicate gravure sur bois de Franz Marc,
Schlofende Hirtin, réalisée en 1912. Je me suis arrêtée devant elle, peut-être un peu plus longtemps que d’ordinaire parce que j’avais noté qu’elle avait été confisquée en 1937 au Staatliches Museum Saarbrücken, puis acquise en 1940 par Bernhard A. Böhmer. Elle est réapparue successivement en 1949 et 1958 dans deux lieux différents d’Allemagne de l’Est.
C’était à Berlin, il y a 3 jours, au
Kupferstickkabinett.
Mais soyons honnêtes, ce qui m’a vraiment motivée à venir à Berlin, c’était la visite du Humboldt Forum avec
l’association Détours des Mondes.
D’emblée, il me faut reconnaître un préjugé qui s’était installé en moi, nourri par mes précédentes visites au musée d’ethnologie de Dahlem. Je redoutais de constater l’absence de nombreuses oeuvres dans ce nouvel espace, non pas en raison d’une censure liée à leur "dégénérescence", mais parce qu’elles avaient été jugées "mal acquises".

La première impression fut cependant spectaculaire, notamment devant la salle dédiée aux bateaux, où je retrouvais l’extraordinaire pirogue à balancier de Luf, et celle dédiée aux maisons Abelam et la bai de Palau, miraculeusement préservées malgré le déménagement.
Pourtant, cette pirogue de Luf n'a-t-elle pas
fait couler beaucoup d’encre quant aux conditions de son acquisition par Max Thiel suite à une expédition punitive ?

Dans la section Océanie, quelques vitrines mettent en valeur des oeuvres majeures de Papouasie-Nouvelle-Guinée, notamment des sculptures Malaggan et Uli. Dans une autre salle, c’est la Polynésie qui est à l’honneur.

Pour le reste, on se trouve face à des vitrines "pêle-mêle", sans cartel explicatif, certes classées géographiquement, et qui témoignent, selon notre guide d’une "présentation ancienne", certainement prête à être revisitée comme il se doit.

Cela ressemble à une présentation "façon réserves", étant donné que l’ensemble est resté à Dahlem. Pour obtenir des informations, il faut se plonger dans les notices de la base de données accessible sur place… Autant dire que peu de visiteurs s’y risqueront !

Ainsi, au sein du bric-à-brac des vitrines "réserves visibles" de la section africaine
(il n’en est pas ainsi du Cameroun ou du Bénin), j’ai eu le plaisir de redécouvrir le siège à double caryatides de
l’atelier du maître de Buli, placé presque à ras du sol, sans la moindre mention de sa provenance. Un sort bien injuste pour cet atelier qui, au tournant du XIXᵉ siècle, a rassemblé d’éminents sculpteurs congolais. Il fut d’ailleurs l’un des premiers à être identifié en 1929 par
Franz Olbrechts, à une époque où l’on ne parlait pas encore de signature des œuvres africaines.

Quant à la statue du même atelier (III C 16999), un chef d’oeuvre….elle m’a échappé… Peut-être n’était-elle simplement pas mise en avant.

Parmi les pièces iconiques, il fallait par contre lever les yeux pour distinguer la petite mais formidablement dynamique statue d’une reine mère ou d’une épouse d’un chef Tshokwe (III C 2969).
Il est indéniable que ces vitrines regorgent d’œuvres fascinantes, mais elles semblent reléguées sans reconnaissance, comme des objets "orphelins" d’identification et de provenance, bien que celles-ci soient connues ! D’ailleurs, il ne s’agit pas « d’objets », m’a-t-on corrigé, mais de "Biens ou héritages culturels". Respect.
Pourtant, croire que je pourrais manquer de respect serait une erreur : ces pièces sont, à mes yeux, les meilleurs ambassadeurs des richesses culturelles de sociétés souvent méconnues de nous, Occidentaux. J’ai cependant la crainte que bon nombre de ces oeuvres finissent par être reléguées en réserve, vestiges trop embarrassants de notre passé colonial.

En ce sens, la salle consacrée aux Bronzes du Bénin semble désormais bien pâle… Peut-être à l’image du visage des conservateurs, qui ont encore du mal à accepter que leurs restitutions soient passées des mains du gouvernement nigérian à celles de l’Oba, Ewurare II, lequel refuse qu’elles soient exposées au musée d’Edo City. À ce jour, je (ou on?) ignore leur emplacement.
Mais, après tout, ne dit-on pas que "donner, c’est donner" ?
J'ai passé sous silence, entre autres, les salles Amériques, asiatiques (fermées temporairement), l'exposition temporaire sur la Tanzanie et les controverses sur l'architecture même du bâtiment !
De fait le Humboldt Forum fait beaucoup parler de lui !

les photographies de cette note ont été prises à Berlin la semaine du 1er avril 2025 par l'autrice
Photo 1 : Détail du siège "Splendeur de perles","Mandu Yenu", du sultan Njoya, Bamun, III C 33341 a,b.
Photo 2 : Franz Marc, Schlofende Hirtin,1912.
Photo 3 : Pirogue à balancier, Luf (îles Hermit, Micronésie), VI 23116 a.
Photo 4 : Maison des hommes Abelam, PNG, VI 47057 a
Photo 5 : Vitrines de sculptures malaggan , Nouvelle-Irlande.
Photo 5 : Détails de vitrines Marquises, Hawaii
Photo 6 : Vitrines de minkisi et minkondi, RDC, Congo.
Photo 7 : Détail du siège à double caryatides, atelier du (des) maître(s) de Buli, III C 14966.
Photo 8 : Statue d’une reine mère ou d’une épouse d’un chef Tshokwe, III C 2969.
Photo 9 : Détail de la statue "Princesse Edeleyo", Nigeria, royaume du Bénin, III C 10864.
Photo 10 : Tête d'un roi ou d'un dignitaire, Nigeria, III C 27526.