Des trois expositions actuellement au Musée du Quai Branly, celle-ci est à mes yeux la plus fascinante. Le corps comme objet d'une fabrication sociale, non pas une propriété propre mais pensé comme relation.
Des concepts difficiles mais éclairés par des objets et abordés selon quatre parties : le corps et ses doubles (les morts en Afrique de l'Ouest), la chair est image (le divin en Europe occidentale), la matrice masculine (l'autre sexe en Nouvelle-Guinée) et le corps fait par le regard de l'autre (en Amazonie).
L'exposition est si riche que je ne vous parlerai ici que de la Nouvelle Guinée.
Nous pouvons aisément concevoir le corps comme un composé de masculin et de féminin. Les habitants de Nouvelle Guinée considèrent, eux, le corps féminin comme étant complet (capable de porter un enfant, être un contenant); le corps masculin, en revanche, restant un corps englobé par la femme.
Or il doit être contenant lui-même s'il veut perpétuer le clan paternel.
D'où la nécessité de rites d'initiation (et nous retrouvons le sens profond de rites d'initiation africains) au cours desquels le corps masculin doit être débarrassé des éléments maternels.
En Nouvelle-Guinée de quelle nature sont ces rites ?
Ils consistent dans la pratique de saignées ou dans l'absorption de matières dites masculines (du gras de porc équivalent à du sperme, des fragments d'os d'ancêtres...), parfois dans la participation à des rites homosexuels et toujours dans la fabrication de sculptures et d'objets de culte. Les objets de culte sont souvent des instruments de musique.
Dans le Golfe de Papouasie, c'est le rhombe, une sorte de fuseau plat et décoré qui est l'objet le plus sacré des rites initiatiques.
On le fait tourner au bout d'une corde et son vrombissement représente la voix des monstres mythiques qui dévoreront puis feront naître de jeunes garçons alors accomplis.
Le thème de la dévoration est constant : on est dévoré pour renaître.
Le rhombe est le «grand frère» des masques et des représentations d'ancêtres à la silhouette découpée et écartelée telles les représentations ci-dessus.
Grâce à ces rites, le corps masculin pourra être ainsi «évidé» de la nature féminine afin de pouvoir devenir lui-même contenant. Ce n'est évidemment pas le corps physiologique qui se transforme mais le corps social. Ainsi ce sont les grandes maisons de culte bâties comme des ventres, des carcasses ouvertes qui représentent la communauté masculine et qui vont pouvoir donner naissance aux initiés.
Sur cette photo, au sein de la maison des hommes, le garçon est «mis au monde» par un monstre de vannerie qui joue le rôle de l'utérus masculin.
L'exposition nous présente encore des objets de culte fondamentalement différents de la Région du fleuve Sépik (des crochets, des masques à longs nez...), où si les concepts sont à peu près identiques, les rituels diffèrent.
Mais c'est une autre histoire...
Vous vous en doutez, j'ai simplifié à l'extrême cette présentation pour vous donner le goût d'en savoir plus...
Il faut absolument lire le catalogue de l'exposition réalisé sous la direction de Stéphane Breton.
Nb : Les photos proviennent de ce catalogue.
Crédits photographiques :
Photo couverture +Photo Brooklyn Museum: Brooklyn Museum/Central Photo Archive
Photo Museum der Kulturen Bâle : Markus Gruber
Nb : Pour ceux qui ne sont pas passionnés d'ethnologie mais d'art, je pense qu'il y a ici beaucoup de pistes et dans les concepts et dans les formes déjà explorées (ou à explorer?) par les artistes contemporains travaillant sur le corps... si vous avez des connaissances sur le sujet, éclairez-moi...
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thème passionnant:type de problématique qui a été initiée par M.Mauss et qu'on retrouve chez M.MEAD.
Malheureusement la question de l'excision entre dans cette problématique du corps et de la différentiation des sexes: entre nécessité de la différence et référence à l'universalité des droits, il y a parfois à choisir.
Rédigé par : yvan | 06 juillet 2006 à 11:33
En effet, ce thème est passionnant. A la question "Qu'est-ce qu'un corps ?", on aurait peut-être tendance à répondre de manière univoque, ou bien de manière "objective" (forme, nature, dimensions, constituants, genres, fonctions,etc.). C'est une façon de se rassurer. Or, le corps se constitue symboliquement. Il passe par le regard des autres. Les cultures lointaines ont sans doute beaucoup à nous apporter dans cette exploration.
Rédigé par : holbein | 07 juillet 2006 à 07:59