
À Paris, en ces temps de fêtes, les magasins sont noirs de monde; chacun à la recherche du cadeau qui fera plaisir à l'autre, mais aussi, il faut bien l'avouer, à nous-même. Le choix n'est pas simple; il y a la question financière bien sûr et consciemment ou non, on réfléchit si cela est bien ou pas assez ou trop, selon la personne, sa proximité... Et puis il y a ceux qui n'ont rien, il est question de charité, d'aumône, de dons faits aux «pauvres»; interrogations bien présentes au coeur de notre société, de nous-mêmes...
Lire ou relire l'Essai sur le don de Marcel Mauss, un texte de 1924-1925, ce n'est nullement se plonger dans un ouvrage suranné aux questions dépassées. Mauss fait le constat que le cadeau que nous faisons n'est pas désintéressé puisqu'il crée une obligation. Le don et le contre-don vont être les pivots de sa réflexion.
Examinons cet anneau de nacre. En Papouasie-Nouvelle Guinée, il prend des valeurs multiples. Celles-ci sont activées selon le contexte des échanges.
L'anneau de nacre en vente pour les «touristes» a bien une valeur monétaire, à l'instar de nos cadeaux, auxquels nous ajoutons, il est vrai, ce que nous appelons une valeur sentimentale.

Mais un anneau de ce type servira aussi de compensation lors d'un mariage, entrera dans un «contrat». Il servira de compensation dans une dispute et l'objet rétablira l'équilibre. Il servira encore de compensation lors de funérailles, marqueur de relations entre les clans. L'anneau est en quelques sorte en «relation sympathique» avec son propriétaire.
La manière dont les objets circulent en Océanie va permettre à ceux-ci d'acquérir une valeur à l'aune des relations qui se construisent entre les personnes.
La valeur de l'objet est donc toujours contextuelle et le prix ne peut se mesurer avec nos catégories de monnaie. Lorsque l'anneau devient compensation, ce n'est pas d'argent dont il s'agit mais compensation d'un manque, de la perte d'un être; une fille qui va se marier, un aïeul qui vient de décéder...
Les humains n'ont pas de prix me direz-vous; incompréhensible à nos yeux d'acheter sa femme avec des coquillages, aisé d'imaginer les abjectes dérives d'un corps devenu objet... mais là encore, individu, personne, objets sont liés. Penser que s'il y a eu compensation, échanges d'anneaux, les relations sociales ne sont jamais coupées, jamais fermées; les choses et les humains ne sont pas si éloignés que cela peut nous sembler.
Difficile de penser ainsi, mais n'avons-nous pas à y apprendre ?

«Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?»
écrivait le poète.
Ce n'est pas tout à fait de cela dont il s'agit, mais peut-être approche-t-on le concept de hau ce «quelque chose qui circule» et qui va nous obliger à accepter le cadeau et à rendre ?
Peut-être faut-il un long détour vers l'Océanie pour comprendre la valeur des choses, mais aussi la nature et la valeur de l'art ?
Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. de Marcel Mauss est téléchargeable sur internet à partir d'un site extraordinaire : Les classiques des sciences sociales : Une bibliothèque numérique, entièrement réalisée par des bénévoles, fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, sociologue. université du Québec à Chicoutimi.
Photo 1 : Issue du site Anthrophoto.
Photo 2 : Musée du Quai Branly.
Photo 3 :© Pierre et Anne-Marie Pétrequin (cf. exposition Objets de pouvoir en Nouvelle-Guinée).
Photo 4 : Musée des Confluences - exposition virtuelle.
Photo 5 : Archives Museum der kulturen Bâle, 1956 © Alfred Buhler in Ombres de Nouvelles-Guinée.