Ce sont les livres de voyage de l’Uranie et de la Physicienne, corvettes dirigées par Louis de Freycinet lors des années 1817 à 1820, qui mentionnent les premiers l’existence de ces objets :
« À leurs croyances se mêlent beaucoup de superstitions. Ils pensent, par exemple, que lorsqu’ils possèdent la queue d’une certaine raie dans leur pirogue, ils ne peuvent s’égarer en naviguant. Un vent contraire les empêche-t-il de se diriger vers le point où ils tendent, ils emploient un instrument singulier pour faire une sorte de conjuration : cet instrument, nommé ossoliféi, consiste en un manche en bois au bout duquel est fixée, avec du mastic, l’extrémité d’une ou deux queues de raies, et que décorent des feuilles de latanier découpées en rubans; l’un d’entre eux agite dans l’air cette espèce de bâton augural pendant que l’équipage est en prière, et ils croient de la sorte se rendre les éléments plus favorables.» (Freycinet L. Cl. de Saulces de. 1826. livre III. p.113)
Le premier objet qui retint leur intention fut donc cet objet dont la fonction semble être incantatoire, servant à conjurer la tempête, les vents contraires.
Mais c’est l'expédition Ergebnisse der Südsee-Expedition 1908-1910, menée par le Musée de Hambourg, avec à sa tête Augustin Krämer, qui fournit des explications supplémentaires et une collecte importante.
Au large de l’île de Momegog, dans l’archipel des Carolines, Krämer recueillit une embarcation, acquit l’un de ces objets et nota son importance : « Freycinet décrit planche 58 l’objet ossolifei qui servait à combattre les tempêtes. On pense qu’un piquant de raie dans l’embarcation l’empêche de s’égarer … j’ai découvert leur maniement sur les atolls centraux où la navigation en haute mer a été pratiquée jusqu’au début de notre époque, et où on la pratique certainement à l’occasion aujourd’hui encore » et plus précisément, Thilenius note : « … C’était un objet en forme de poignard, pourvu d’épines de raie, dont la partie supérieure était une figure janus » :
On remarque bien l’objet de gauche : une figure en bois surmontant des aiguillons de raies, l’attache réalisée avec des fibres, peut être des bandes de feuilles de palmier ou coco ; le bois et les piquants étant soudés par de la chaux.
Un dessin permet de mieux visualiser un autre type de charme toujours collecté par l’expédition Ergebnisse der Südsee-Expedition 1908-1910 :
L’exemplaire collecté par Krämer (planche 4d) se trouve au Linden Museum Stutgart, et d’autres exemplaires sont conservés naturellement au Musée de Hambourg.
Ces objets sont bien attrayants et l'on a envie de croire à leur fonction incantatoire.
Néanmoins, les informations sont rares, basées pour la plupart sur le récit de Freycinet, reprises par l'expédition de Hambourg ; mais aucune mission de terrain plus récente n'a permis de confirmer réellement que ces objets étaient bien fabriqués dans le but de conjurer les tempêtes !
Références bibliographiques :
(1) Freycinet, Louis Claude de Saulces de. 1826. Voyage autour du monde, entrepris par ordre du Roi, exécuté sur les corvettes de S. M. L'Uranie et La Physicienne, pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820, Paris : Pillet aîné. (Voir Texte intégral et atlas).
(2) Krämer, Augustin. 1932. Vol.II Ethnographie : B Mikronesien, Band 5, Truk.p. 308.
(3) Thilenius Hrsg G.1927. Vol.1, Allgemeines.p. 195.
À lire : un article très complet sur le sujet : « Je perce l'oeil du ciel » d'Udo Horstmann et Klaus Maaz, in Art Tribal, automne 2005.
Photo 1 : The American Museum of Natural History.
Figure 2 : Planche 58, Divers objets à l’usage des habitants des îles Carolines in Freycinet Louis Claude de Saulces de. 1826.
Figure 3 : : in Krämer Augustin.1937. Die erste Zeile des Sturmaubergesanges von Ikelur. Zentral-Karolinen, I Halbband. Planche.4d.
Figure 4 : in Damm, H. 1938. Vol.II Ethnographie : B Mikronesien, vol.10, part 2. p.330.
Photo 5 : Linden Museum Stuttgart.
Intéressant.
Comme toujours.
Véro
Rédigé par : Véro | 20 janvier 2009 à 20:44
Lyliane,
Tes billets sont comme des signaux faibles dans un océan d'information sur le web. Des petits trésors comme l'ambre gris des baleines...
Cette tendance de l'homme dans toutes les cultures, à ritualiser l'aléatoire est étonnante. Cette façon de sublimer ses limites, ses faiblesses, son incompréhension du monde, ses peurs dans un cadre plus cohérent, superstitieux, comme pour conjurer ce qui n'est pas souhaitable restera toujours marquantes.
Cette sorte de syncrétisme rend l'homme attachant, habile à lire, écouter, deviner l'indicible. Les signaux utilisés sont sans doute erronés mais leurs usages ouvrent à d'autres réalités qui comptent.
J'aime cette approche entre chaos et ordre dans le jeu des symboles. La queue d'une raie n'a rien à voir avec la navigation maritime. Mais elle est élevée en symbole d'équilibre, de grâce, dans le ballet des raies qui par l'harmonie suggéré impose presque un équilibre rassurant.
Merci encore pour ces découvertes. Je dois après le blog m'effacer un peu, quelque part grandir pour peut-être revenir un jour.
Je resterai fidèle à tes publications. Je dispose de plus de temps... Bonne chance.
Bien amicalement,
Bertrand
Rédigé par : Bertrand | 21 janvier 2009 à 01:13
Merci Bertrand.
Je suis très sensible à ce que tu as écrit.
Je ne prierai pas le dieu des vents pour qu'il te soit favorable dans la direction que tu prends car je suis sûre que tes décisions t'y mèneront.
Bonne chance.
Avec toute mon amitié.
Lyliana
Rédigé par : Lyliana | 21 janvier 2009 à 08:40