Editorial du Monde daté du 29 novembre 2009 :
« Il était courant en Europe, il y a un siècle, d'affirmer qu'il n'y avait pas d'art en Afrique, rien que des " fétiches ". Picasso, Matisse, Apollinaire, Breton, peintres et poètes ont fait justice de cette absurdité. Ainsi est né " l'art nègre " - formule ambiguë. Elle reconnaît la qualité artistique des sculptures ou des masques. Mais elle confond tous les peuples, tous les styles, toutes les époques sous un seul terme, trop simple, trop vague. " Africain " vaut-il mieux ? Oserait-on parler d'art " européen " pour qualifier à la fois les sculpteurs romans et Rodin, Giotto et Poussin, Rembrandt et Cézanne ?
" Africain " n'en a pas moins pris la succession de " nègre ". Sans doute l'ethnologue, le spécialiste ou le collectionneur pratiquaient-ils déjà des distinctions subtiles entre des styles variables d'un village à un autre, d'une société à une autre, mais il manquait cette notion essentielle : les artistes, des individus identifiés, des noms, des mains, des manières particulières de travailler. Il n'y a pas si longtemps, un discours officiel croyait encore pouvoir interpeller " l'homme africain " : encore une généralité, encore un schématisme.
Qu'une exposition au Musée du quai Branly s'attache à nommer les créateurs de la cour royale d'Abomey est important du point de vue de la connaissance historique. Mais surtout d'un point de vue politique et moral, parce que c'est l'une des premières fois qu'une telle tentative est osée en France. Le temps de l'indistinction et de l'anonymat s'achèverait-il enfin ?
Les oeuvres présentées dans l'exposition sont à Paris depuis des décennies, depuis le pillage des palais du roi Béhanzin par les troupes coloniales françaises à la fin du XIXe siècle. Si elles sont montrées aujourd'hui d'une façon si neuve, ce n'est donc pas parce qu'elles seraient elles-mêmes nouvelles, mais parce que les regards et les esprits évoluent. Le temps de l'art " nègre " ou " africain " finit ; celui des artistes africains commence.
Sans doute faut-il voir également dans cette évolution un effet de l'art actuel : les artistes qui travaillent aujourd'hui au Bénin, au Cameroun ou au Nigeria sont de plus en plus connus. Ils signent des oeuvres singulières et individuelles. Ils exposent de plus en plus, y compris en Afrique, et la question de leur statut d'artistes ne se pose évidemment pas. C'est à la lumière de ce présent que le passé est considéré désormais.
Il est profondément logique, et satisfaisant, que ce soit une fondation africaine spécialisée dans l'art actuel qui soit le mécène du catalogue de l'exposition des " Artistes d'Abomey ".»
© Le Monde
Une fort juste et pertinente réflexion.
(À lire aussi, dans un contexte différent et plus spécialement focalisé sur le statut des artistes contemporains africains, le point de vue d' Hassan Mussa. Coup de poing vers d'autres questions).
La Fondation Zinsou est le mécène du catalogue de l'exposition Artistes d'Abomey dont Gaëlle Beaujean-Baltzer, responsable de collections à l'Unité patrimoniale Afrique au musée du quai Branly, est le commissaire.
Photo prise sur le parcours de l'exposition.
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