Sumatra demeure, pour beaucoup de touristes, une simple escale avant la pause culturelle de Borobudur à Java et la douceur balinaise de l'île bénie des dieux. La destination est ainsi devenue synonyme de l’escale parfaite pour la découverte des orangs-outans !!!
Certes, toutes les rencontres sont possibles en Indonésie, sans les avoir même provoquées !
Mais, si l’on adopte ce point de vue simien, on passe à côté des richesses culturelles de l'île dont les plus connues sont celles des Batak et moins célèbres, celles des Minangkabau.
Dès l'arrivée à Padang, capitale de la province de Sumatra occidental, la fierté du peuple Minangkabau s'affiche dans une architecture surprenante où les toits des demeures rivalisent d'imbrications pour s'élever au plus haut vers le ciel.
Environ 4 millions de personnes se revendiquent Minagkabau dans le coeur du territoire situé autour de la ville de Bukittingi. De l'histoire de ce peuple il ne reste rien dans la mémoire des jeunes générations si ce n'est la structure d'une société restée matrilinéaire tout en étant baignée depuis le 13 ème - 14 ème siècle dans la religion islamique.
Les femmes possèdent la terre, la maison ; les générations de filles héritent ainsi des biens, des titres mais bien sûr l'oncle maternel veille. Les maris n'ont aucun droit sur le foyer conjugal et ils peuvent même en être rejetés.
Si vous passez un dimanche en pays Minangkabau, vous serez surpris du nombre de petites camionnettes emplies de chiens qui sillonnent les routes : les hommes se défoulent peut être, dans ce sport peu commun et bestial qu'est la chasse au cochon sauvage, de leur vie quelque peu bridée dans cette société féminine et musulmane. Étonnante Sumatra qui confère ici quelque influence aux femmes et qui applique au nord de son territoire, dans la région d'Aceh, les pratiques d'un autre âge avec la charia !
De nos jours, les grandes maisons, jadis aux mains de la puissante femme mère, sont occupées par plusieurs familles. À l'intérieur, une grande pièce commune est ceinte par ces étonnants murs qui ne sont pas droits et sur les côtés une rangée de portes-hublots donnent accès à un petit espace pour dormir.
Beaucoup sont à l'abandon mais lorsqu'on reconstruit, les Minangkabau reprennent les formes architecturales traditionnelles, fiers de ces toits pointant en l'air comme des cornes de buffle.
Une vieille histoire raconte que les Minangkabau et les Javanais se disputaient jadis la terre. Aussi fut-elle le terrible enjeu d'un singulier combat de buffle : le gagnant se verrait reconnu maître du pays !
Les Javanais arrivèrent avec l'animal le plus impressionnant possible alors que les Minangkabau présentèrent un bébé buffle. Le duel semblait perdu d'avance.
C'était sans compter la ruse qu'avait employée ces derniers en séparant le petit buffle de sa mère pendant plusieurs jours. L'animal dont la tête était surmontée d'une série de piques, fonça vers le buffle gigantesque qu'il croyait être sa mère afin de chercher ses mamelles. Il déchira le ventre de ce dernier et remporta la joute. Le petit buffle victorieux ( minang kerbau) permit à ce peuple fier de garder sa terre et lui donna son surnom.
Ce sont certainement les traces de ce mythe enfoui dans l'inconscient collectif qui poussent aujourd'hui les maisons du pays Minang à dresser leurs multiples toits sous la forme de cornes de buffles.
Alors que le territoire Batak fourmille de petits musées plus ou moins riches, ici rien de cela. Le palais reconstruit après le tremblement de terre de 2007 ne propose que de rares vitrines comportant quelques kriss ou quelques boites sculptées, et les "antiquaires" de Bukittingi sont plutôt riches d'objets provenant de l'île de Nias et du pays Batak que de leur propre territoire.
Cependant, c'est tout de même au milieu du zoo de Bukittingi où quelques tigres se morfondent, et après quelques errances dans les dédales des deux grands marchés de la ville, grouillants et colorés comme savent l'être les marchés orientaux, que j'ai découvert "le" musée "ethnographique" : Les vitrines sur la culture matérielle Minangkabau alternent avec celles exposant les monstruosités animales, biches à huit pattes, veaux à deux têtes... Bien pâles témoins d'une splendeur passée...
Les vestiges du passé sont encore trop "vieillots" pour attirer l'intérêt des jeunes gens de cette démocratie récente et la proche histoire est plus au fait des préoccupations actuelles. Dans le moindre village, je suis surprise de l'importance des maisons de réunion, sortes de salles du conseil communal, bâties dans la plus pure tradition Minangkabau, jouxtant la mosquée.
C'est ainsi que le paysage porte en lui la marque de ce syncrétisme ancré dans la société, issu d'un fier passé Minang momentanément oublié et d'un islam bien vivant que nous rappellent chaque matin de puissants hauts parleurs.
Photos de l'auteure, août 2014.