L'article de Philippe Dagen dans
Le Monde du 11 septembre dernier, intitulé
Parcours des mondes : trafic dense, risque d'accidents a certainement fait grincer quelques dents.
Je vous livre son texte ci-dessous :
"Parcours des mondes, dont c'est la treizième édition, est désormais un rituel. La semaine internationale des arts dits « primitifs » (du 9 au 14 septembre), comme la Foire de Bâle, est celle de l'art actuel en Europe. Comme à Bâle, les collectionneurs et les spéculateurs les plus combatifs s'efforcent d'accéder aux œuvres avant l'ouverture officielle. Comme à Bâle et dans toutes les foires, les marchands s'achètent des œuvres entre eux, échangent des rumeurs sur l'état du marché. Ils glosent sur la récente faiblesse de l'euro face au dollar, qui contribuerait à l'afflux d'amateurs nord-américains. Comme chaque année, ils déplorent que les maisons de ventes aux enchères gonflent les prix de façon excessive.
Masque Yaouré, Côte-d'Ivoire, bois et pigments, H. 40 cm.
EXPOSITION OU DÉBALLAGE
Et, ce qui n'est pas sans rapport avec ce qui précède, ils moquent à voix basse les « costumes cravates », qui ont des fonds et nulle connaissance, par opposition aux vrais amateurs, qui n'ont pas de costumes, moins de fonds mais du savoir et de l'empathie.
Quelques repères géographiques et artistiques ne sont en effet pas inutiles pour ne pas s'égarer. Dans 68 galeries – dont la moitié sont étrangères –, sont déposées des centaines d'œuvres venues jadis d'Afrique, Océanie, Asie du Sud-Est, Nouveau-Mexique, Himalaya, Alaska ou Amérique du Sud. On dirait que la planète – Europe exceptée – vient déverser ses cultures et ses styles à Saint-Germain-des-Prés. Cela fait beaucoup. Cela fait même trop et peut-être faudrait-il songer à restreindre le nombre des participants. Et leur suggérer de réfléchir à l'art de faire voir. Deux manières de montrer se distinguent : exposition ou déballage. Par ce dernier terme, on désigne la mauvaise habitude de disperser dans l'espace des pièces absolument étrangères les unes aux autres.
INCOHÉRENTE PROMISCUITÉ
Plusieurs de celles que montre la galerie madrilène Arte y Ritual peuvent bien être remarquables en elles-mêmes, il n'y a aucune raison de juxtaposer vaudou et Nouvelle-Irlande. C'est visuellement maladroit et intellectuellement désastreux, car ce procédé revient à reconduire la détestable notion d'arts « primitifs » telle qu'elle était employée il y a un siècle, comme si elle n'avait pas été déconstruite depuis. Or, ils sont nombreux, à peu près la moitié des exposants, à entasser ainsi des œuvres dans la plus incohérente promiscuité. De spécialistes, on pourrait attendre un peu plus d'attention à la nature de ce qu'ils présentent.
Masque éléphant Ogbodo-Enye. Igho-Izi, Nigeria, début du XXe siècle.
Aussi préfère-t-on de beaucoup les expositions conçues autour d'une culture ou d'une question, ce qui les rend plus accessibles aux visiteurs non érudits. Olivier Castellano célèbre la sculpture des Sénoufo, dont un couple d'une découpe expressive admirable. Maine Durieu consacre aux Baoulé une exposition étendue à toutes les formes et matériaux de la création, bois et métal, grandes statues et objets plus utilitaires et non moins ouvragés. Même souci ethnographique chez Michael Evans, à propos des îles Salomon.
ŒUVRES AFRICAINES EN BLANC ET NOIR
Même cohérence chez le New-Yorkais Donald Ellis, qui se voue aux Indiens de la côte nord-ouest, comme l'Australien Chris Boylan et le Britannique Wayne Heathcote aux mers du Sud, ou le Bruxellois Joaquin Pecci à l'ancienne Haute- Volta.
Autre angle, plus esthétique : la galerie romaine Dandrieu-Giovagnoni réunit des œuvres africaines en blanc et noir, dont une très singulière et érotique figure féminine du Gabon blanchie au kaolin, et un masque éléphant hérissé et extravagant du Nigeria.
D'autres raretés méritent passage : un masque-heaume kuyu (Congo), un des trois seuls connus, chez Schoffel de Fabry ; chez Dartevelle, parmi des pièces inégales, une statue mbole (Congo), figure de pendu qui servait quand justice allait être rendue ; et, chez Pascassio Manfredi, une grande et symbolique sculpture équestre venue du détroit de Torres".
© Philippe Dagen.
Photo 1 : © Tribal Art.
Texte Philippe Dagen et autres photos © Le Monde.