Petit état indien situé près de la frontière birmane, le Nagaland est une de ces terres isolées si ignorées, qu'en Occident seuls quelques voyageurs passionnés ou collectionneurs impénitents, connaissent. Cet état fédéré compte une trentaine de groupes qui ont leur identité propre mais dont l'une des racines communes est l'appartenance de leur langue au même ensemble tibéto-birman.
En fait, ce sont les musées allemands tels ceux Munich et de Berlin qui ont envoyé assez tôt dans le XXème siècle des missions de collectes dans un but de sauvegarde, pensant que ces ethnies allaient disparaître. C'était sans compter sur l'isolement d'un territoire véritablement fermé jusqu'en 1970, et du dynamisme des cultures de ces groupes qui n'ont cessé de faire vivre une tradition fortement ancrée en perpétuelle création.
Hier, au musée du Quai Branly étaient ainsi présentées par Daria Cevoli, responsable de collections Asie au musée, des oeuvres Naga provenant de la donation de Monique et Jean-Paul Barbier Mueller en 2001.
Les collections du musée comportent 142 objets Naga ainsi qu'un fonds photographique ayant appartenu à Hans-Eberhard Kauffmann, anthropologue présent sur le terrain de 1936 et 1937. Parmi le fonds Objets, la donation Barbier-Mueller correspond à 66 éléments, ce qui est loin d'être négligeable.
S'il est impossible de résumer croyances et pratiques Naga, Daria Cevoli a fourni quelques pistes afin d'appréhender le contexte des objets présentés.
Parmi elles, l'importance des morungs, ces longues maisons qui prenaient en charge respectivement les filles et les garçons de la petite enfance pour les mener jusqu'à l'âge de se marier. Ces maisons étaient très ornées, extérieurement de structures à cornes et de peintures ; à l'intérieur, il existait des statues, des poteaux sculptés.
Il s'agissait de lieux où les coutumes et la tradition se transmettaient de génération en génération, la musique, la danse, les contes populaires, la sculpture, les dessins sur les vêtements... des lieux où se trouvaient réunie la jeunesse des clans. Ils furent des endroits longtemps préservés car il fallait protéger là où se trouvait en quelque sorte l'"énergie vitale" de la communauté et des proies convoitées par les ennemis.
Ce n'est qu'à partir des années 70 que des objets, provenant de l'intérieur des morungs, ont été collectés ; des éléments architecturaux, des figures, comme ce couple, et pour lesquels on ne sait que peu de choses.
Pour les Naga, comme pour beaucoup de peuples, la partie la plus importante d'un individu est la tête. C'est la partie du corps la plus ornée et la plus représentée, que l'on voit portée par les guerriers sous forme de petits pendentifs. Tout ce qui avait trait à un exploit guerrier était en rapport avec elle (importance des cheveux par exemple dans la composition d'éléments de parure). Faire couler le sang, c'était un moyen efficace pour contribuer à la fertilité en permettant d'acquérir de l'énergie vitale indispensable pour enfanter, au sens propre comme au sens figuré.
L'importance de la tête chez les Naga est portée à son paroxysme lorsqu'on comprend qu'un individu ne pouvait pas se suffire à lui-même en terme d'énergie vitale dès lors qu'il devait faire face à l'adversité. Si elle touchait une communauté, telles les épidémies, les famines, il fallait donc monter de véritables expéditions de chasse aux têtes afin d'apporter une énergie extérieure et supplémentaire.
Des matériaux tels l'ivoire, le cristal, le laiton contribuaient à cet apport, d'où l'existence d'une multitude d'objets Naga dans ces matières.
L'image des Naga comme redoutables coupeurs de têtes a longtemps perduré, ne serait-ce que par les trophées qui étaient rapportés en Occident (plusieurs exemplaires sont visibles au Pitt Rivers Museum) et qui véhiculaient ce sordide fantasme occidental lié au cannibalisme. De fait, aucun acte de cannibalisme n'a été relevé chez les Naga, le guerrier ne décapitait pas non plus son ennemi de crainte de perdre l'énergie vitale liée à la tête mais bien sûr des guets-apens étaient tendus dans les montagnes du Nagaland afin de pouvoir chasser "avec l'esprit du tigre" des êtres susceptibles de déborder de vie, à savoir plutôt les femmes et les enfants !
Photo 1 : Chefs Naga, © MQB - PP0058949 - photo de H. E. Kauffmann, 1936-137.
Photo 2 : Morung Naga, village Chang, Tuensang District, 1954. © Elizabeth Bayley Willis Northeast India photograph collection. Washington University Libraries archives.
Photo 3 : Couple, élément architecturale de morung © MQB 70.2001.27.63.
Photo 4 : Photo d'un guerrier Naga, anonyme, © MQB - PP0056342.
Photo 5 : Ornements de hanche masculins © MQB 70.2001.27.51 et 70.2001.27.52. Photo de l'auteure, exposition Cheveux Chéris, septembre 2012.
Photo 6 : Gushem, chef Naga-Chang, © MQB - PP0056337 - photo de H. E. Kauffmann, 1936-137.
Photo 7 : Trophée de chasseurs de têtes Kalyo-Kengyu Naga, Pangsha Village, Assam District, novembre 1936, © Pitt Rivers Museum, photo de l'auteure 2015.
En lisant cet article sur le Nagaland, je suis transporté dans cette région mystérieuse et fascinante de l'Inde, près de la frontière birmane. Le Nagaland est l'une de ces terres isolées et peu connues, même pour les voyageurs les plus aguerris. J'ai toujours été intrigué par ces régions du monde qui semblent figées dans le temps, et le Nagaland ne fait pas exception.
Les Naga, avec leurs multiples groupes ethniques et leur langue tibéto-birmane commune, représentent une richesse culturelle impressionnante. Il est fascinant de penser que malgré leur isolement, ces peuples ont su maintenir et faire évoluer leurs traditions. Les missions allemandes au début du XXème siècle, qui craignaient la disparition de ces ethnies, n'avaient pas anticipé la résilience et le dynamisme de ces cultures.
Rédigé par : Culturalia | 30 mai 2024 à 16:39