Dans le « fameux »
Artificial Curiosities, ouvrage de 1978, A. L. Kaeppler comptabilise 72 objets "estampillés" Cook à Dublin. Mais ce que nous apprend Rachel Hand (1) dans ses recherches menées entre 2003 et 2006, c’est qu’il y aurait eu en fait non pas
deux donateurs mais quatre, et que la collection attribuée aux voyages de Cook à Dublin serait plutôt composée de 200 objets !
Pourquoi tant de différence ?
Dans ces musées des Lumières, les savants qui prenaient soin des naturalia et artificialia étaient des scientifiques portés sur les sciences naturelles (Médecin, zoologiste, géologue, entomologiste, …) et par conséquent faisaient passer en priorité leurs spécimens d’études. Les objets ethnographiques étant souvent de moindre intérêt à leurs yeux, ceux-ci étaient simplement stockés et non précieusement catalogués. Il s’agissait bien souvent, non pas de petites
quantités d’objets dont il fallait s’occuper, mais de stocks devenus de plus en plus importants notamment avec l’expansion de l’Empire Britannique, de 1860 à 1914. Ainsi, actuellement le National Museum of Ireland compte ainsi 11000 objets ethnographiques dans son fond dont la moitié environ provient d’Asie.
À Dublin, qui sont donc ces deux autres donateurs d'artefacts du Pacifique ? Les recherches de Rachel Hand on montré qu'en 1792, des objets des collections de l’Hibernian Marine Society furent donnés au Trinity College. Cette institution rattachée à la Royal Navy fut créée en 1766 afin de fournir une éducation et un apprentissage
pour les garçons dont les familles ne pouvaient plus prendre soin d'eux.
Il s’agirait de dons du Capitaine John Williamson et du compagnon charpentier George Barber, tous deux membres d'équipage de la troisième expédition Cook.
Williamson est un marin tristement célèbre du dernier voyage puisque lieutenant à bord de la
Resolution en février 1779, il avait commandé le débarquement de Kealakekua Bay le 14 février lorsque Cook et quelques uns de ses hommes avaient trouvé la mort. Il lui fut reproché de n’avoir pas été à la hauteur pour les sauver…
La fin de sa carrière sera pathétique puisque reprenant la mer sur d'autres navires, il sera accusé plus tard de lâcheté et passera en cours martiale. Irrespectueux, querelleur, il s'adonnera à la boisson et décèdera en 1797 des suites d'une trop grande alcoolémie. Il avait tenu un journal mais de celui-ci, il ne reste presque rien aujourd’hui et on n'a aucune information sur ses collectes ; quant à Barber, on ne sait rien de lui !
Ce sont donc des pistes bien tenues que suit Rachel Hand, néanmoins la trace concernant leurs dons est pourtant bien réelle car ceux-ci sont inscrits le 20 décembre 1780 dans les registres de ce pensionnat - orphelinat, et un petit musée avait même vu le jour en 1781 afin de présenter leurs objets. Mais, devant le manque de succès de cette exposition publique, il fut décidé d’attribuer ces collections au Trinity College, lequel attirait déjà des touristes.
En ce début de XIXème siècle, à défaut de catalogue, on a le témoignage précieux de Kenelm Henry Digby, un écrivain né en Irlande en 1797 qui vint étudier à Cambridge en 1818.
Il avait visité le museum de Dublin (nécessairement entre 1810 et 1818) et avait écrit un ouvrage comprenant des dizaines de dessins des naturalia et artificialia des collections du Trinity College :
The Naturalists Companion.
Les deux éléments les plus importants et des plus étonnants qu’il dessina furent un costume de deuilleur et un mannequin coiffé d’un fau de Tahiti
(cf. ci-dessus). L’ouvrage ne fut malencontreusement pas publié ! (
On peut néanmoins consulter une copie en ligne (2) grâce à la State Library du New South Wales).
Malheureusement, on peut constater que le costume de deuilleur, que Freeman (3) note bien sous le numéro 3906, n’est plus à Dublin.
Il semble, d’après A. Kaeppler que ce soit l’exemplaire qui se trouve depuis 1971 au Bishop Museum d’Honolulu
(ci-dessus) complété d’accessoires ramenés par Patten ou King (1971.198).
Le taumi que porte le second personnage dessiné par Digby est par contre bien conservé dans les collections du Trinity College (1885.188) mais on ne trouve pas trace de l’imposante coiffe, le
fau.
On ne connait dans les collections publiques que deux
fau, l’un rapporté du premier voyage et il se trouve conservé au British Museum, le deuxième exemplaire provient du second voyage et il est exposé au Pitt Rivers Museum.
Qu’en est-il du fau de Dublin ?
On a la preuve (4) que celui-ci était exposé en 1811 puisqu’un certain William Gregory qui visita le musée écrivit dans
The Picture of Dublin, commentant le mannequin, le « naval warrior », en parle et fait une description d'un costume en tous points semblables à celui dessiné par Digby dans ces années là.
Mais après cette date, il n’existe plus aucune mention.
Peut-être la fragilité de sa composition a-t-elle eu raison de sa conservation avec les siècles ?
Hooper & Stevenson pensent quant à eux, que le
fau n’a jamais dû intégrer les collections du National Museum…
Il faut se méfier des sources… c’est bien connu : avoir été dessiné dans l’ouvrage de Digby,
The Naturalists Companion, ne constitue pas une preuve
suffisante pour authentifier un objet comme provenant des voyages de Cook.
Ainsi en est-il de ces figures hawaiiennes étonnantes, puissantes, notamment le personnage qui a la nuque tournée.
En effet, ces deux figures appartenaient au Royal Dublin Society Museum qui fit don de ses spécimens d’histoire naturelle en 1799 et probablement de ses
spécimens ethnographiques dans les mêmes années au Dublin Museum of Science and Art et qui avait reçu les collections du Trinity College Museum.
On a une description datant de 1811 toujours dans
The Picture of Dublin qui mentionne les deux surprenantes statues. Celles-ci appartenaient à John Ellis, un peintre, collectionneur mais dont les origines de sa collection demeurent inconnues. Ce sont a priori des images de divinités, peut-être portées par les prêtres…
Mais Ellis possédait-il des objets des expéditions Cook ?
Encore une autre piste bien difficile à remonter…
à suivre...
Notes :
1. Hand Rachel, 2015, « «A number of highly interesting objects » : The Cook-voyage collections of Trinity College Dublin » in Coote J. (ed.), 2015,
Cook-Voyage Collections of « Artificial Curiosities » in Britain and Ireland, 1771-2015, Museum Ethnographers Group.
2.
The Naturalists Companion containing drawings with suitable descriptions of a vast variety of Quadrupeds, Birds, Fishes, Serpent and Insects; & accurately copied either from Living Animals or from the stuffed Specimens in the Museums of the College and Dublin Society, to which is added drawings of several antiquities, natural productions &c containd in those Museums -- illustrated manuscript by Kenelm Henry Digby consultable sur le site de la
State Library of New South Walles.
3. in Freeman, 1949, « The polynesian collection of Trinity College Dublin ; and the national museum of Ireland » in The Journal of the Polynesian Society - Volume 58, No. 1, 1949. En ligne sur le site du
Journal of the Polynesian Society. p.7
4. in Stevenson K. & Hooper S., 2007, « Tahitian Fau - Unveiling an enigma » in
The Journal of the Polynesian Society 116.
Photo 1 : Costume de deuilleur, Tahiti, dessin Digby Kenelm Henry, The Naturalists Companion p.221 © Mitchell Library PXE869.
Photo 2 : Un guerrier portant un taumi et un fau, Tahiti, dessin Digby Kenelm Henry, The Naturalists Companion p.220 © Mitchell Library PXE869.
Photo 3 : Costume de deuilleur © Bishop Museum, Honolulu, 1971.198 - photo © T.D.R
Photo 4 : Taumi in Freeman, 1949. Consultable en ligne.
Photo 5 : Deux figures et une lance de Hawaii, dessin Digby Kenelm Henry, The Naturalists Companion p.3 © Mitchell Library PXE869.
Photo 6 : Figure de Hawaii, NMI 1880.1607, photo in Hooper S., 2008, Polynésie. Arts et Divinités 1760-1860, Ed. Musée du Quai Branly & RMN.