Toute balade ouvre des chemins et il nous appartient de poursuivre dans telle ou telle direction. On peut à juste titre s’entêter dans ce qu’on considère être la piste principale ou s’égarer, non pas vainement, mais pour mieux défricher ce qui est encore inconnu non seulement dans le fond mais aussi dans la forme.
Suivre le fil rouge de ces articles consisterait à emboîter le pas aux enquêtes déjà menées au cœur des musées, à reprendre de manière plus approfondie celles déjà consultées et à travailler d’autres études réalisées sur des collections plus ou moins modestes en Europe (Nord de l’Angleterre, Allemagne) et hors Europe (Bishop Museum, Te Papa notamment).
On pourrait également envisager de rechercher les artefacts ethnographiques non polynésiens : ceux de la Côte Nord-Ouest sont nombreux à avoir été rapportés du troisième voyage… et il s’agit d’une thématique peu connue.
Mais on l’a vu, l’histoire des collections laisse ouverts de nombreux chantiers : Ici, il s’agirait notamment d’examiner les documents relatifs aux ventes aux enchères de la fin du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle afin de retrouver les acheteurs des artefacts des voyages de Cook, puis étudier leurs descendances… C’est cette piste que je privilégierai prochainement, suivant de nouveau les traces d’A. L. Kaeppler. Bref un long trajet mais à l’aune d’un pas de fourmi. C’est un chemin qui s’avère à la fois intellectuellement intéressant et à la fois semé d’enjeux financiers puisqu’il correspond à une procédure nécessaire dans l’identification de pièces qui passeraient en salles de ventes et se revendiqueraient être des « objets Cook », un chemin lent animé de la satisfaction du débroussailleur…
Plus hasardeuses mais combien passionnantes sont aussi les voies qui posent des questions complexes. Que nous disent les artefacts collectés lors des voyages de Cook et présentés dans les collections de nos musées ethnographiques ?
Les objets ne nous parlent pas mais ils nous font parler.
La première conversation qu’ils nous suggèrent concerne leur présentation : quelle est la nature de l’image que nous voulons véhiculer en les exhibant ? Voulons-nous encore de cette image « sauvage » ou exotique que les objets ethnographiques nous renvoient lorsqu’ils sont confinés dans des vitrines placées dans des perspectives occidentales et nécessairement dans un point de vue colonial ?
Au 21ème siècle, ce sujet a déjà fait couler beaucoup d’encre et ce chemin est devenu un boulevard de la réflexion muséale mais aussi de celle du grand public qui questionne son regard porté sur l’Autre. Une trace visible de l’actualité de ces questions réside par exemple dans le changement des intitulés des musées ethnographiques devenus des « musées des cultures du monde », intitulé politiquement correct !
Mais au-delà d’une simple changement de nom, les échanges qui ne se limitent pas à une auto-contrition, se sont révélés être très féconds lorsque leurs routes ont rencontré celles d’artistes contemporains.
Si James Cook n’avait pas déclaré l’Australie Terra Nullius ; la première colonie pénitentiaire britannique se serait-elle installée à Botany Bay en 1788 ?
Dans le même registre, l’artiste Judy Watson interroge les dépossessions des peuples autochtones, les objets de ces cultures qui se retrouvent dans les collections ethnographiques des musées du monde entier. Les gravures Nos os sont dans vos collections (photo 2), Nos cheveux sont dans vos collections, Notre peau est dans vos collections sont ainsi des critiques de l'utilisation de restes humains dans les expositions. Réécrire les rencontres entre l’Anglais et le Polynésien, repenser le rôle des objets de nos musées…
Et si on s’y mettait, c’est-à-dire se remettre en question…
Mais repartons des objets eux-mêmes et envisageons encore d’autres connexions.
Ces artefacts loin d’être morts, même entrés au musée comme peuvent le penser certains, constituent les témoins d’anciennes cultures aux yeux des sociétés du Pacifique dont ils sont issus et certains artistes contemporains se les approprient, s’en inspirent, créent : « Through the taonga, the past became present and I felt connected to my people once more as they inspired me to keep creating and producing new Works. These encounters also brought me closer to the academic world in which they had been hibernating… All of a sudden the museum became a live space to me, not one dedicated only to the past but a space that could also nurture the future » affirme Rosanna Raymond (1)...
à suivre
Notes :
1. in Raymond R. & Salmond A., 2008, Pasifika Styles. Arts Inside the museum, Otago University Press
« Grâce aux taonga, le passé est devenu présent et je me sentais relié à mon peuple une fois de plus comme s’ils m’inspiraient pour continuer à créer et à produire de nouvelles œuvres. Ces rencontres m'ont aussi rapproché du monde universitaire dans lequel ils ont hiberné ... Tout d'un coup, le muséum est devenu un lieu de vie pour moi, pas seulement dédié au passé mais un espace qui pourrait aussi nourrir l’avenir. »
Photo 1 : Undiscovered #4 © Michael Cook .
Photo 2 : Our bones in your collection © Judy Watson, 1997.
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