À la suite des objets polynésiens des voyages de Cook, je vous propose une nouvelle série d’articles qui reprendront la présentation que j’ai faite à Détours des Mondes le 17 octobre 2017 et qui s’inscrit toujours dans la suite de mes recherches sur les « collections Cook ».
Comme pour les précédents articles, ma source principale est constitué par le travail effectué par A. L. Kaeppler sur plusieurs dizaines d’années avec, pour ce thème, un ouvrage particulier en ligne de mire: Holophusicon. The Leverian Museum. An Eighteenth-Century English Institution of Science, Curiosity, and Art, Altenstadt, ZKF Publishers-Museum für Völkerkunde Wien, de 2011 et complété par son article « From the South Seas to the world » in J.Coote (Ed.), 2015, Cook-Voyage Collections of « Artificial Curiosities » in Britain and Ireland, 1771-2015, Museum Ethnographers Group , Occasionnal Papers 5.
Lors de mes recherches sur les objets rapportés par le capitaine Cook, je fus en effet surprise de constater le nombre important de dessins existant autour de ces collections.
Certains d’entre eux permettent de nous renseigner sur le lieu d’origine et la fonction d’un artefact, notamment lorsqu’il s’agit de croquis issus d’observations de première main. D’autres permettent de conclure quant à leur(s) endroit(s) ultérieur(s) de conservation lorsque les expéditions furent de retour en Angleterre et lorsque le propriétaire y a accordé suffisamment d’attention pour en vouloir garder mémoire par le biais d’un croquis ou d’une aquarelle…
La première nature de ces dessins est assez bien connue et j’en ai parlé longuement dans les articles réunis sous le chapeau "James Cook". En effet, les dessinateurs de bord sont bien identifiés : Parkinson, Hodges et Webber pour les plus célèbres et les plus prolifiques. Bien que cette affirmation soit bien sûr à tempérer dans la mesure où des dessins d’Alexander Buchan et de Herman Spoërring ne furent ré-attribués à leurs véritables auteurs qu’en 1959 ; et ce n’est qu’en 1998 qu’on a aussi su aussi attribuer à Tupaïa les dessins de celui que l’on nommait être « l’artiste du chef deuilleur ». On peut citer encore les dessins de William Ellis passés dans l’ombre de ceux de John Webber !
Toutes ces images ont été largement reproduites dans les comptes-rendus du voyage au XIXe siècle et ont dû probablement joué un rôle important dans l'élaboration d'une vision occidentale des peuples indigènes.
Quant aux dessins d’objets une fois dispersés après le retour des navires, ils sont certainement peu nombreux et bien plus méconnus. Chaque collectionneur, qu’il fut privé ou institution publique, ne s’est pas empressé de faire dessiner les nouvelles pièces qu’il acquérait et, nous avons pu le noter maintes fois, c’est un véritable miracle lorsque celles-ci ont été inscrites dans un registre de manière claire et précise.
Ainsi faut-il attendre 1968 pour que Roland et Maryanne Force rendent publics les dessins de Sarah Stone, une aquarelliste commissionnée par Ashton Lever afin d’illustrer sa collection abritée dans son musée, l’Holophusicon qui fut l’un des plus grands cabinets de curiosités que l’Angleterre ait compté au siècle des Lumières. Ils venaient en effet de découvrir un album d’aquarelles dans la bibliothèque du Capitaine Fuller abritée au Bishop Museum d’Honolulu !
Il faut se souvenir que Roland Force fut le conservateur du département Archéologie et Ethnologie d’Océanie au Field Museum de Chicago entre 1956 et 1961. En 1958, il s’était rendu à Londres afin de rencontrer le grand collectionneur du Pacifique Sud qu’était A.W.F Fuller, passionné par la comparaison de techniques et l’évolution du design. Il le convainquit de vendre l’intégralité de sa collection du Pacifique au musée afin d'éviter sa dispersion. Le Field Museum acheta donc 6.884 artefacts dont deux grands ensembles, l’un de Mélanésie et l’autre, de Polynésie.
Quant à la bibliothèque de Fuller, elle comprenait plus de 20 000 ouvrages et elle fut donnée au Bishop Museum d’Honolulu. C’est donc là, parmi cette abondante publication, que les Force ont retrouvé des dessins de Sarah Stone.
Il faut également mesurer le relatif intérêt des 18ème et 19ème siècle pour les artefacts exotiques… Nous l’avons maintes fois souligné, les « érudits » collectionneurs, étaient généralement plus intéressés par l’histoire naturelle, et ce sont les spécimens de la flore et de la faune qui étaient à leurs yeux les plus dignes d’intérêt et probablement les plus dessinés.
Néanmoins de nos jours, les dessins d'artefacts collectés au XVIIIè siècle sont recherchés dans le cadre du marché de l’art puisqu’ils témoignent de l’appartenance d’objets à tel ou tel propriétaire et par suite permettent d’attester de leur origine et de leur ancienneté.
Quels étaient ces propriétaires ? Généralement des personnes aisées qui pouvaient consacrer leur temps à oeuvrer pour leur collection qu’elles exposaient et montraient à leurs amis dans des cabinets de curiosités. Dans l’Angleterre du 18ème siècle, plusieurs de ces cabinets étaient devenus de véritables musées et s’étaient ouverts au public… plus ou moins choisi.
Le plus célèbre d’entre eux est certainement le Leverian Museum, créé par Ashton Lever (1729-1788), un gentleman qui avait fait fortune dans le commerce du textile à Manchester. Après des études à Oxford, il se consacra à une vie de « dilettante », collectionnant les oiseaux (il en chassait un certain nombre) puis de manière plus générale les spécimens d’histoire naturelle. Sa collection date probablement des années 1760. Il ouvrit au public en 1771 quelques pièces consacrées à celle-ci dans son manoir de Manchester.
Le succès de son entreprise le poussa à déménager à Londres en 1774, ouvrant à Leicester Square un musée réparti sur 7 pièces.
On date probablement des années 1778 ses premiers achats d’objets rapportés par les voyages de Cook.
Succès grandissant puis faillites se succédèrent et l’intégralité du musée, à savoir plus de 26000 spécimens, fut vendue à une tombola en 1786 puis définitivement dispersée en 1806.
La vente dura 65 jours, elle était cataloguée mais malheureusement non illustrée ; les 7800 lots étaient néanmoins plus ou moins bien décrits.
C’est dire si la vente de 1806 marque une date importante pour l’histoire des collections d’ethnologie puisque parmi les multiples naturalia, Ashton Lever avait constitué un incroyable ensemble de curiosités artificielles provenant du Pacifique Sud, et dans une moindre mesure du Pacifique Nord.
Mais 1806 n’est qu’un instant dans l’histoire des collections.
C’est un évènement important, certes. Mais il y a un "Avant" : Où Ashton Lever s’est-il procuré les objets ? (ventes aux enchères de la dernière partie du 18ème siècle, des objets ayant appartenu à des personnes qui étaient à bord des navires des grandes expéditions mais aussi à des gentilhommes collectionneurs et de leur « museum » dont la trace s’avère de nos jours bien ténue)… et un "Après" : Qui sont les acheteurs ? Où se trouvent actuellement les objets ?
Tout cet ensemble forme de nouveau une trame passionnante pour une enquête à suspens dans l’histoire des collections.
à suivre...
Photo 1 : A new map of the world, publ. Laurie & Whittle, 1800 © Alexander Turnbull Library, National Library of New Zealand.
Photo 2 : Quelques pages d'un album de Sarah Stone, conservé par The British Museum, Am2006,Drg.53.
Photo 3 : Intérieur du Leverian Museum. Aquarelle de Sarah Stone © State Library of New South Wales, Canberra.
Photo 4 : Couverture du catalogue de la vente de 1806.
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