Hilisimaetano est un beau village traditionnel du sud de l'île de Nias, certes avec des toits en tôle mais où la présence de quelques anciennes pierres témoigne d'un passé où les fêtes de prestiges étaient encore célébrées.
Ainsi en est-il par exemple d'une stèle (voir ci-dessous) dont le motif de l'extrémité haute évoque une tête de buffle stylisée comme le notait Stéphane Barbier sur une photographie identique de 1976
(le motif sur le côté semble cependant récent).
En fait ce que je cherchais précisément dans ce village était un vieux siège en pierre. J'avais en tête d'anciennes photographies et surtout un dessin "mythique"...
Celui-ci est reproduit dans
Un viaggio a Nias d'Elio Modigliani paru à Milan en 1890. L'auteur de ce dessin n'est pas Modigliani, puisque lorsqu'il est passé à Hilisimaetano, le siège avait été cassé. Il date d'avant, et a été réalisé précisément entre septembre 1855 et septembre 1856 lorsque le
baron bon Rosenberg voyageait à Nias, et s'est arrêté dans l'ancien village d'Hilisimaetano.
Modigliani explique cela et fait une description détaillée du dessin
(p.311, trad. Deepl) :
"
Réalisé en grès grisâtre, il (le siège d’honneur) représente un torse humain revêtu des différents insignes d'un guerrier Nías. On ne voit ni le visage ni aucune tentative de le reproduire et le casque saillant est soutenu par deux grandes dents qui surgissent à la base du cou. Sur la poitrine, collés à ces dents, sont modelés deux calabubu, les colliers d'honneur que tout Nías est fier de porter autour du cou, et, à l'intérieur, des bas-reliefs représentent des boucles d'oreilles ou de simples ornements allégoriques. Parmi les bras, seul le droit montre le bracelet porté par les hommes du poing. Tous deux dépassent ensuite du buste en tenant un mousquet dans chaque main et forment les bras latéraux du siège. Le dossier est orné d'un splendide relief représentant un crocodile qui, la tête posée sur le casque, les pattes étendues sur le dos et la queue agrippée au côté gauche de la base, semble grimper difficilement derrière ce trône artistique.
Je dois à l'amabilité du célèbre voyageur von Rosenberg , qui m'a communiqué un dessin inédit de ce trône, pour pouvoir le représenter ici. Malheureusement, ce monument d'une valeur considérable est tombé lors de son transport de l'ancien au nouveau village et s'est brisé au sommet, de sorte que lorsque je l'ai vu, il lui manquait les ornements les plus importants, ceux de la région de la tête… On m'a dit qu'il serait réparé, mais il s'est déjà écoulé de nombreuses années après la rupture sans qu'il soit réparé, et il est probable qu'il s'écoulera encore de nombreuses années avant qu'ils ne se décident à le faire..."
Mais le siège a été réparé !
Lorsque E. E. W. Schröder, administrateur colonial entre 1904-1909, est à Hilisimaetano, voilà les deux photographies qu'il publie dans son ouvrage
Nias. Ethnographische, geographische en historische aanteekeningen en studien!
Vingt ans après , c'est grâce à une expédition suisse que nous allons retrouver une photographie du siège d'honneur. Dans l'ouvrage
Nias / Die Insel der Götzen: Bilder aus dem westlichen Insulind publié en 1929, la planche 23 suivante témoigne d'un siège relativement en bon état :
Les différents motifs qui crééent cette tête de monstre sont difficiles à interpréter, les rosettes sur le côté (des références au monde supérieur ?), le crocodile sur le dos du siège (référence au monde inférieur ?), les colliers qui enserrent les crocs...?
Cinquante ans après, en 1976, c'est Stéphane Barbier qui passe à Hilisimaetano et photographie le fameux siège :
Le temps et la négligence des hommes ont fait leur oeuvre et on ne distingue plus rien de cette tête monstrueuse qui faisait son originalité !
Jean-Paul Barbier dans
Un monument en pierre de l'île de Nias (MEG, bulletin 19, 1976) s'étonne que de tels sièges n'aient pas été retrouvés dans d'autres villages, logiquement réalisés pour un grand chef lors des fêtes d'Owasa, et pose la question de savoir s'ils étaient réemployés. Certes, il existe des bancs de pierre et des tabourets monolithiques ajourés mais très peu de "trônes" de la sorte.
Alors en 2024, qu'est-il devenu ?
Le siège a été déplacé, adossé à un muret, le crocodile du verso est à peine perceptible.
De face, le "personnage" a perdu ses "ailettes" sur lesquelles reposaient les pattes avant du crocodile. Les seules traces de l'ancien temps qui demeurent sont la marque des
kalabubu et du fusil tenu encore fermement par une main gauche toujours vigoureuse.
Photos 1, 2 et 3 : Hilisimaetano, photo de l'autrice août 2024
Photo 4 : Dessin du siège d'Hilisimaetano in Modigliani, Un viaggio a Nias, dessin de Von Rosenberg
Photo 5 : Siège d'Hilisimaetano © E. E. W. Schröder, entre 1904 et 1909.
Photo 6 : Siège d'Hilisimaetano © Otto Wirz entre 1924 et 1927.
Photo 7 : Siège d'Hilisimaetano © Stéphane Barbier, 1976.
Photos 8, 9 : Siège d'Hilisimaetano photo de l'autrice, août 2024.