Ce billet est écrit dans l'esprit d'une contribution aux commentaires émis à la suite de
Arts d'Australie : Les chemins du rêve.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire; les notes sur ce blog concernant l'art aborigène ont été écrites avec une logique de "découverte".
Après avoir évoqué les
churingas, les
toas du Lac Eyre, les
tutini des Tiwi, les
wandjina... autant d'expressions artistiques différentes, j'ai tenté d'approcher la peinture aborigène en regardant des peintures sur écorce, avec leurs variantes et les différents centres du Nord de la Terre d'Arnhem jusqu'à l'est, Yirrkala.
Le dernier billet, quant à lui, esquissait les débuts de la peinture acrylique à partir de l'expérience de Papunya.
Approximativement, à partir des années 70-80, cela "explose"; des communautés artistiques se forment, Yuendumu, Lajamanu, Utopia, Balgo... toujours en relation avec des revendications politiques (se faire reconnaître, reconnaître le droit aux terres) mêlées à ce qui fait l'essence même de la culture aborigène, l'existence du Dreaming, du temps des Ancêtres, des rêves dont certains individus sont propriétaires...(cf. toutes les
différentes notes du blog sur le sujet).
Au début des années 70, s'ouvrent deux grands centres d'Aboriginal Art & Crafts, à Sydney et à Alice Springs. Ils organisent le marché. A la fin des années 70, des "Art advisers" arrivent au sein des communautés, organisent la production... A partir des années 80, une reconnaissance des artistes du Désert Central est enfin acquise.
Depuis ce dernier billet, je suis restée muette quant à la peinture aborigène contemporaine... tout simplement parce que je ne sais pas l'approcher.
Yvan parle à son sujet d'ambiguïté "mercantile" et pointe du doigt le fait qu'on les présente comme des oeuvres contemporaines tout en les accompagnant d'un discours valorisant la tradition.
Je ne pense pas sur ce dernier point qu'il y ait encore une contradiction si ce n'est le fait de savoir ce que nous allons dire des jeunes générations, de la transmission (transmission du savoir i.e "copyright" du rêve et non pas de la technique ?) et du statut de l'artiste.
Je me suis plutôt posé la question de savoir, devant ces peintures, si je pouvais ressentir une émotion esthétique sans pour autant en rechercher un sens.
Ma réponse fut que j'en étais incapable, car malgré l'absence d'une figuration évidente, je pénétrais dans la toile suivant tel ou tel méandre et je cherchais à comprendre.
Peut-être était-ce parce que je savais qu'il y avait là, sous mes yeux, une partie d'un mythe ? Ambiguïté ? Certes, il s'agissait d'une histoire sacrée, propre à l'artiste ou au clan auquel il appartient, qu'il veut garder secrète mais qu'il peint tout de même parce qu'il y a un marché en la masquant par des combinaisons de points ou autres, puisqu'il ne peut la divulguer dans son intégralité ou tout au moins n'en laisser transparaître qu'un niveau de lecture. (D'autres niveaux étant probablement accessibles aux initiés).
Alors que penser des explications que l'on nous donne d'une oeuvre ? Sont-elles pertinentes, utiles ?
La question plus générale est : Quels problèmes soulève une lecture iconographique d'une oeuvre aborigène ? Cette question a-t-elle même un sens ?
Dans ce billet, est présentée une oeuvre de Clifford Possum Tjapaltjarri.
Le paragraphe du livre dont sont issues les photographies de cette oeuvre, précise en effet quelques points du mythe évoqué.
Il s'agit d'un drame rappelant les interdits de l'amour entre un homme et une femme de clans entre lesquels le mariage est interdit. Dans la partie gauche, une femme trouve la substance "lurrka" qui indique la présence de fourmis à miel qu'elle était venue chercher.
Afin de nous donner des clefs, des schémas nous aident :
Il s'agirait donc de lire ? de déchiffrer ? Peut-on donc parler de language visuel à identifier, à s'approprier ?
Sur la partie droite, il s'agirait des activités d'un homme d'un autre clan (Tjungurrayi) dans un site voisin, qui seraient représentées. Dans cette oeuvre, Clifford Possum crée un motif "hair string spindle" (sorte de broche de bouts de cheveux ?). Surpris par une femme Napangati qui fut attirée par son chant, l'homme Tjungurrrayi laisse s'envoler cette "pelote" de cheveux (probable métaphore de vies brisées par ces tabous entre clans) comme le souligne le schéma ci-dessous.
Quatre autres femmes Nungurrayi avec leur bâton à fouir vont s'asseoir près du camp dans la pénombre, ce sont les 4 formes en U tracées à l'extérieur de la grande spirale, accompagnées d'un trait. Les longues lignes droites horizontales seraient des mirages (? pas d'explication...), des empreintes de pas sont encore celles d'un être du temps du rêve, d'autres encore... tout s'entremêle et il est bien difficile d'embrasser l'ensemble.
Des détails nous marquent, la composition est complexe... et je n'ai pas choisi la plus simple pour un oeil peu averti.
Des oeuvres sont bien détaillées dans le chap. 3 de l'excellent livre d'introduction que constitue L'art des aborigènes d'Australie de Wally Caruana (Thames & Hudson, 1994).
Cependant, malgré la complexité, je souhaitais, par cette note, poser les questions des conditions de possibilités de lecture, de l'iconographie, du besoin de "clefs" devant une peinture aborigène contemporaine; relever l'ambiguïté de la cohabitation contemporain/tradition, secret/marché de l'art...
Je suis bien consciente qu'il y a des erreurs, des naïvetés dans mes propos mais j'ai écrit ces lignes en ce sens car je souhaiterai sincèrement que les lecteurs plus "avertis" nous éclairent.
Peut-être ces questions deviennent-elles plus simples lorsqu'on évoque l'art des Aborigènes "urbains"... mais c'est un tout autre volet encore peu développé en France.
Photo 1 : Man's Love Story, Clifford Possum, 1978 ...et suivantes in Johnson Vivien, 1994, The art of Clifford Possum Tjapaltjarri, Gordon and Breach arts international. Courtesy Tandyana and The South Australian Museum.