D'autres masques Hudoq sont encore surprenants. Ainsi, chez les Kenyah, Nicole Revel a documenté à la fin des années 70, des masques particuliers portés par les hommes : les Hudoq kitaq mais aussi des masques portés par les femmes : les Hudoq kibah. Encore de nos jours, les danses des hudoq kitaq et des hudoq kibah existent afin de remercier les ancêtres pour les récoltes et d'apporter des graines particulières à chaque famille comme contenant de l’âme du riz.
"La grande originalité des masques udöq kitaq tient dans les sculptures, ukin, latérales qui constituent une somptueuse ornementation. Ces motifs, kalong, d’arabesques et de circonvolutions... reprennent les motifs que l’on retrouve sur les parois murales peintes, sur les vêtements brodés... Le dodelinement de ces têtes et le lent balancement alterné des bras des danseurs font de ces masques des êtres charmants et infiniment raffinés.
La finesse est la qualité la plus touchante des masques udöq kibah portés par les femmes exclusivement. Ils sont constitués par de grandes hottes à montants fixes que l'on recouvre d’une tapisserie de perles de verroteries, inoq, noires, vertes, jaunes et oranges.
Voir les célèbres tapisseries inoq aban qui recouvrent les porte-bébé". N. Revel in 1978, "La danse des hudoq" in Objets & Mondes 18.
Des masques incroyables venus de Bornéo ont très vite frappé l'imagination des Occidentaux ; André Breton par exemple possédait un impressionnant exemplaire. Ce sont surtout les Kenyah, Kayan et Modang vivant dans le Kalimantan oriental et dans la zone supérieure du Sarawak qui utilisaient ces masques, appelés Hudoq, à l'occasion de rites agricoles (notamment lorsque les greniers étaient pleins pour clôturer les cérémonies selon la "Tradition du riz"). Ils sortent encore de nos jours dans certains villages (cf. Article suivant) et naturellement lors de festivals. Ces masques, d'aspect anthropo-zoomorphe presque féroce, semblent vouloir inspirer crainte et respect. Pourtant, leur fonction consistent à demander aux ancêtres une aide pour les vivants : apporter protection, fertilité aux hommes et à la terre.
"La danse des Hudoq est vécue par les villageois comme un rite de fertilité de la terre et de toute la nature. Les masques ont une faculté ambivalente : ils agissent comme des épouvantails à l'égard des mauvais esprits et comme des aimants envers les bons esprits qu'ils finissent par incarner." N. Revel
Les ailettes figurant les oreilles ressemblent bien entendu aux longues oreilles des personnes de ces régions qui supportent parfois de lourds ornements. Ils peuvent être soit masculins soit féminins. Certaines de ces sociétés, structurées et hiérarchisées, n'autorisaient le port de masques comportant (ou représentant) des éléments du Calao, le dieu du monde d'En-Haut, qu'à des personnes de haut statut.(Sur les photos ci-dessus, on remarquera les plumes de queue de calao qui surmontent le masque) Outre l'emprunt de formes à différents animaux, ces masques sont toujours très colorés, et cette polychromie contribue également à leur conférer vitalité, chaleur, puissance.
Ces masques pouvaient être également employés dans des cérémonies funéraires afin d’écarter les mauvais esprits qui pouvaient venir contrarier le récent défunt.
Que signifie Udöq chez les Kenyah, hudoq chez les Kayan et hedöq chez les Modang ? Si l'on suit Nicole Revel-Mac Donald ("La danse des hudoq" in Objets & Mondes 18), il s'agit de la "force énergétique" d’un bon génie protecteur des communautés.
Ces boucliers servaient par leur décor à intimider l'ennemi et à protéger bien sûr son propriétaire. Un monstre pourvu de grands crocs (nommé udoq) est généralement représenté au centre du bouclier car susceptible d'écarter les esprits malfaisants. Il est souvent entouré par les figures d'aso que nous venons d'évoquer. Ci-dessous nous les retrouvons intriqués comme sur des bijoux déjà mentionnés.
Parfois ceux-ci sont présents sur l'arrière du bouclier qui peut-être orné largement, comme ci-dessous, de personnages surnaturels. Parfois encore, des cheveux humains s'ajoutent sur la face de manière abondante, pratique découlant bien sûr de la chasse aux têtes.
Ce type de bouclier est le fait des populations Kenyah-Kayan ; les Iban réalisaient quant à eux des boucliers différents, certains ovales, généralement des modèles plus rares que ces exemplaires présentés ici.
Addendum : La Galerie Bruce Franck, à l'occasion du prochain Parcours des Mondes, vient de partager son catalogue consacré à l'Est de Bornéo, on y trouve notamment des représentations d'aso :
Calao et Dragon. Arts et culture de Bornéo est le titre d'un ouvrage de Bernard Sellato paru en 1992. Je l'emprunte ici pour souligner combien ces deux symboles sont essentiels dans les cultures Dayak : nous avions ainsi déjà relevé l'importance du calao et du serpent naga dans la cosmologie Ngaju, représentants respectifs des divinités Mahatal et Jata, souverains du monde supérieur et du monde inférieur.
Mais intéressons-nous à ce curieux serpent qui n'en est pas vraiment un : ce "serpent-dragon" de Borneo affiche à la fois des ressemblances avec le makara indien, le singa des Batak ou encore le barong balinais ; mais chez les Dayak, pas de masculin puisqu'il s'agit de la représentation d'une déesse liée aux eaux primordiales, à la création.
Selon les groupes, le dragon se manifeste sous des formes différentes : serpents chez les Iban, cobra chez les Kayan ou encore chez les Kenyah-Kayan, un chien très spécial appelé aso. Plus généralement chez les Dayak, tous les reptiles vont être en rapport avec le dragon de la cosmologie.
Mais l'avatar que constitue l'aso est le plus spécifique et était réservé à l'élite Kayan, laquelle avait le droit de posséder des tabourets et des tables basses décorés. Ainsi, cette paire d'aso, reproduite ci-dessus, constituait-elle deux des quatre pieds d'une table d'aristocrate. Le troisième serait conservé à l'Université de Yale (je n'ai pu la trouver dans la base de données), le quatrième serait perdu.
Ces symboles vont encore se retrouver sur les bijoux portés par les hommes et notamment les boucles d'oreilles. La représentation du calao ainsi que les éléments de l'oiseau lui-même (bec, plumes, crâne) sont intégrés aux bijoux. Ainsi, l'ornement d'oreille peut-il être façonné à partir du bec rougeâtre d'un de ces oiseux et sculpté en mêlant tourbillons et animal mythologique. Ces ornements d'oreille peuvent également être réalisés en laiton. On a alors souvent affaire à des représentations d'aso ainsi façonnées et intriquées là encore dans un ensemble de boucles.
Symboles de prestige mais aussi de protection, nous les retrouverons sur les boucliers...
Certains textiles cérémoniels Iban étaient accrochés sur les murs des maisons longues à l'occasion de cérémonies rituelles, de mariages ou de nos jours, lors de festivals. Ils servaient dans certains cas à délimiter des espaces sacrés et à indiquer, d'une part aux participants que l'action rituelle était en cours, et d'autre part à signaler aux dieux que leur attention était recherchée. Ils pouvaient également être utilisés pour envelopper le corps d'un défunt lors de cérémonies funéraires.
Les textiles les plus importants sont de la taille d'une couverture, appelés pua(i.e. "couverture" en Iban). Parmi eux, la catégorie "sacrée" est nommée "pua kumbu". Ils sont réalisés selon la technique de l’ikat, les principaux motifs sont dessinés en teintant progressivement le fond, généralement en brun rouge, bleu indigo, brun foncé ou noir et en laissant certaines zones vierges. Les dessins représentent des formes humaines, animales, des éléments de la flore ; ils sont généralement intriqués et très stylisés. Il est ainsi difficile de déchiffrer la complexité des pua, comme si les motifs pouvaient se regarder en double lecture ; et si, chaque pua kumbu possède bien un nom propre, celui-ci, généralement ne nous renseigne pas ce qui est représenté.
On se souvient des études d'Alfred C. Haddon, lesquelles, publiées pour la première fois en 1936, demeurent aujourd'hui encore une référence.
La réalisation des pua kumbu est l'apanage des femmes qui s'en transmettent la technique de mère à fille. Des pua sungkit, plus petits, étaient jadis réalisés avec un travail encore plus minutieux et étaient portés par des personnes de rang élevé ou en de rares occasions comme celle du retour des hommes d'une chasse aux têtes.(cf. Photo 2)
En ce qui concerne celui dont un détail est donné en photo 1, la notice du musée de Dallas précise que des motifs de serpents d'eau géants sont placés le long des côtés du panneau central afin de contenir les divinités sur ce tissu. C'est dire l'agentivité d'une telle pièce !
Ces divinités présentées ici, incluent, de bas en haut, six femmes agenouillées ou accroupies, les bras tendus (peut-être la représentation de la fille aînée du dieu de la guerre), et six demi-dieux (peut-être aussi ici la représentation du fils de cette déesse) portant un pagne, une épée à la ceinture ornée de charmes, et tenant un panier en rotin contenant une tête trophée afin de la présenter à sa mère. Quant au registre supérieur, il s'agit peut-être d'êtres humains pouvant représenter des ennemis tués ; et ce de manière grotesque... Voilà par exemple un essai d'interprétation sans beaucoup d'assurance.
Lors de fêtes religieuses célébrant l'introduction d'une nouvelle tête trophée dans la maison longue commune, le rituel accompli faisait en sorte que la force spirituelle intense de la "couverture" transforme le potentiel de malveillance de la tête trophée en une bonne volonté empreinte de puissance et de fécondité.
La Tun Jugah Foundation de Kuching présente un musée fort intéressant comportant des pièces exceptionnelles, on peut y voir aussi des démonstrations expliquant le processus de fabrication des Pua. (Cf. Video ci-dessous, vidéo publique car interdiction de photographier et filmer lors de mon passage en 2016).
L'imaginaire populaire a longtemps associé Bornéo au pays des coupeurs de têtes... Petits frissons de sauvagerie passés, nous savons que la chasse aux têtes n'était nullement l'apanage de Bornéo, ni non plus la marque de cruauté la plus totale puisque celle-ci s'inscrivait dans le cadre de rituels et dans un cycle de sacrifices au nom de la fertilité. (ceci ne justifiant pas cela)
Il est néanmoins évident que les "grands" coupeurs de têtes se distinguaient des autres et de fait, la réussite dans la chasse aux têtes constituait un marqueur fort distinguant l'homme de prestige de l'homme du commun.
Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que seuls les Dayak semblent avoir développé dans tout l'archipel indonésien, la pratique d'ornementation des crânes. (Soulignons néanmoins dans la partie indonésienne de la Nouvelle Guinée, l'existence chez les Asmat et les Marind-Anim de pratiques d'ornementation mais quelque peu différentes)
On connait aussi les toi moko des Maori qui ont été un temps exposés dans les musées ethnographiques et retirés de nos jours afin d'être, pour certains, restitués aux populations concernés ; mais on connaît certainement moins ces crânes trophées pour la plupart attribués aux Iban et aux Bidayuh du Sarawak.
Antonio Guerreiro en s'intéressant au crâne Dayak des collections du musée des Confluences (n°60003168A, cf photo ci-dessus), apporte de nombreuses précisions : Télécharger son article : "À propos d’un crâne gravé de Bornéo au Musée des Confluences de Lyon" in Archipel, volume 84, 2012.
Il rappelle qu'il ne s'agit pas de crânes d'ancêtre (conservé et paré comme on le connait dans certaines cultures), mais bien de crânes trophées rapportés dans le cadre de la chasse aux têtes. Les ornementations de ces crânes sont de trois types (revêtement d'une feuille d'étain et gravure (cf. photo 3 ci-dessous), décors incisés ou gravés directement sur l'os, décors de fines perles insérées dans une gomme, la gutta-percha) avec bien sûr des parures accessoires. Le mode décoratif le plus répandu chez les Bidayuh est le second type avec un décor floral. Ce dernier "évoque la croissance des plantes, une métaphore de la "vie" et de la fertilité".
Ces crânes étaient exposés à l'occasion d'une cérémonie réalisée afin d’apaiser les esprits des victimes. Ils pouvaient l'être aussi à l'occasion de rites funéraires pour des individus importants.
Dans le quotidien, les crânes étaient suspendus dans des vanneries de rotin dans les ruai des maisons longues et pouvaient être interprétés comme le symbole de l’unité de la communauté.
L’abolition de la chasse aux têtes remonte à 1920 sous l’impulsion des autorités coloniales néérlandaises pour le Kalimantan et sous l’administration Brooke au Sarawak dans la deuxième partie du XXème siècle.
Parmi la population Dayak de Bornéo, les Iban constituent aujourd’hui le groupe le plus important qui se sont installés pour une majorité au Sarawak, au gré de migrations successives en provenance du Kalimantan. Ils ont développé un habitat particulier que constituent les maisons longues et qui peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres. Celles-ci abritaient ((ent) plus rarement de nos jours) des dizaines d'appartements (ou bilek) où vivait la famille souvent composée de trois générations. Le bilek est aussi l'endroit où l'on entreposait les biens de prestige ou "sacrés" (jarres, gongs, charmes...). De nos jours, comme on le voit sur la photo ci-dessus, les toits de tôle ont remplacé les anciennes toitures et l'espace de vie s'est quelque peu vidé (photos ci-dessous).
L'espace de vie, c'est cette cette longue galerie commune appelée ruai . Lors de mon court séjour en 2016, j'y ai rencontré le soir, des personnes, âgées pour la plupart, assises sur des nattes en osier, buvant la bière de riz, le tuak, discutant, sortant des gongs pour l'occasion... Peut-être étaient-ils entreposés là pour les fêtes de Gawai Dayak, symbole de la vie commune harmonieuse, encore importantes de nos jours et prenant place dans ces maisons-longues.
La société Iban n'était pas à proprement parler strictement hiérarchisée, mais chaque maison longue était dirigée par un tuai rumah, un homme "recruté" pour ses qualités exceptionnelles telles la bravoure, l'éloquence et plus généralement le charisme. Peut-être, était-il comparable au Big man rencontré dans les sociétés mélanésiennes où le système héréditaire était rejeté au profit d'un modèle équitable mais pas vraiment égalitaire.
De nos jours, la fonction de tuai rumah existe toujours, et constitue un poste d'influences convoité par les partis politiques.
Terminons ici ce tour d'horizon non exhaustif des sources assez anciennes, disponibles en Occident et accessibles au grand public, sur les sociétés traditionnelles de Bornéo.
On évoquera encore La Mission évangélique de Bâle qui s'est établie de manière précoce à Bornéo et plus précisément chez les Ngaju (un sous-groupe Dayak du Kalimantan central) dans la première partie du XIXème siècle. Le missionnaire que fut Hans Schärer, installé entre 1932 et 1939, s’intéressa de près à la religion des Ngaju. Il collecta une très abondante documentation, puis il rentra à Leyde où il écrivit sa thèse entre 1939 et 1944 sous la direction de J. P. B Josselin de Jong. Celle-ci : Die Gottesidee der Ngadju Dajak in Süd Borneo, fut publiée en 1946 et constitue la première somme sur la religion des Ngaju.
Ce peuple réalisait en effet des cérémonies complexes à l'occasion des funérailles. Dans leur conception de l'au-delà, les défunts voyageaient sur un bateau qui associe le calao et le serpent naga (cf. photo 1). En effet, dans les mythes ngaju, les morts se transforment soit en naga, soit en calao ; non pas les personnes mortes prématurément, par accident, maladie, mais "les bons morts", ceux qui, protégés par les divinités du temps de leur vivant, mourront de vieillesse. Lors des premières funérailles les défunts sont placés dans des cercueils en bois soit enterrés soit placés sur des plateformes surélevées.(photo 2) Tout est une question d'équilibre. Le monde supérieur, régi par le calao, est associé au soleil et au monde des hommes. Dans le monde souterrain, c'est le naga qui est maître, associé à l'eau et au monde féminin. Grâce à différents rituels, l'équilibre peut être maintenu et garantira la fertilité de la terre
À l’occasion des secondes funérailles, les restes sont repris, brûlés et les cendres sont placées dans de petites maisons ou sandong situées à l’extérieur du village. Les cérémonies Tiwah qui duraient 7 jours concernaient plusieurs défunts. À cette occasion, ces derniers allaient pouvoir devenir des Ancêtres et vivre dans le village des morts. Des statues étaient érigées, non pas pour constituer des représentations de défunts, mais bien plutôt pour servir de poteaux sacrificiels, elles sont peut-être à l'image de ces serviteurs qui allaient accompagner le défunt dans le village des morts. Autrefois, des esclaves étaient réellement attachés au poteau et sacrifiés.
Pour les sources de ces différentes notes, consulter la bibliographie déjà publiée en octobre 2016.
Certains documents y sont téléchargeables, en plus des sources anciennes données dans ces 8 premiers articles.
Photos in Die Gottesidee der Ngadju Dajak in Süd Borneo. Consulté sous la version anglaise : Ngaju religion : the conception of god among a south Borneo people. Hans Schärer. translated by Rodney Needham with a preface by P. E. de Josselin de Jong, 1963.
Le Kulturhistorisk museum d'Oslo réserve bien des surprises et les objets de l'ère viking norvégienne ne constituent pas les seuls attraits de ce musée nordique... on y trouve des artefacts de Bornéo !
On les doit à l'ethnographe norvégien, Carl Sofus Lumholtz, surtout connu pour son ouvrage Parmi les cannibales: récit de quatre années de voyages en Australie et de la vie de camp avec les aborigènes du Queensland, publié pour la première fois en 1889, et considéré comme l'un des plus importants témoignages ethnographiques de la période, sur les peuples du nord du Queensland. Insatiable de voyages, on le retrouve au Mexique avec le botaniste C.V. Hartman de 1890 à 1900, puis en Inde et enfin en 1915 à Bornéo.
L'université de Pennsylvanie a décidément formé des docteurs en médecine qui avaient la bougeotte et qui ne souhaitaient pas nécessairement appliquer les principes d'Asclépios.
William Louis Abbott est de ceux-là. Diplômé en 1884, il fait de nombreux voyages : c'est un naturaliste passionné d'ornithologie. Dès 1880 il commence à collecter des oiseaux en Amérique, puis à Cuba, et on le retrouve en 1887 sur les pentes du Kilimandjaro. Fidèle à Philadelphie, Abbott a offert à son Académie des sciences naturelles ses spécimens d'Amérique du Nord et des Caraïbes, ce sont près de 3 000 oiseaux.
Mais c'est avec la Smithsonian Institution de Washington qu'il travaillera et collectera pour le compte de son musée d'histoire naturel. Ainsi, on le retrouvera ainsi à Zanzibar, aux Seychelles et à Madagascar en 1890 ; de 1891 à 1895, il visitera l'Asie et notamment le Cachemire, le Turkestan, le Pakistan, le Bengale et Ceylan... En 1898 il parcourt encore à pied le Siam et Sumatra, mais, l'année suivante, il construira la goélette Terrapin à bord de laquelle il passera une décennie à explorer les îles entourant l'Asie du Sud-Est.
Sa collection d'oiseaux, de petits mammifères, de reptiles et d'artéfacts des îles constitue le premier inventaire scientifique exhaustif de la région.
Mais revenons à notre tour d'horizon de Bornéo : c'est en 1905 qu'Abbott y commence ses premières collectes, d'abord dans l'Ouest de l'île, puis en 1908 et 1909 à l'Est de l'île. Une cécité partielle l'obligera à suspendre ses activités... temporairement car après avoir été soigné, il retournera sur le terrain, avec encore des pauses pour cause de maladies parfois très graves...
C'est le National Museum of Natural History de Washington qui conserve les quelques 1750 artefacts collectés par Abbott à Bornéo. Outre les objets, l'intérêt des collections d'Abbott vient aussi de l'abondante documentation qui les accompagne et qui fournit une précieuse matière pour connaître les modes de vie du début du XXème siècle des peuples qu’il a rencontrés. Malheureusement pour le grand public, il ne laisse aucun mémoire de voyage !
Voilà trois jeunes hommes diplômés de l'Université de Pennsylvanie (ceux qui sont debout sur la photo) qui vont se retrouver au bout du monde... William Henry Furness III, Hiram Milliken Hiller, docteurs en médecine en 1891 et Alfred Craven Harrison, Jr. qui y reçut un baccalauréat honorifique en 1899... mais aussi fils d’un millionaire de l’industrie sucrière, il proposa ses services aux deux premiers en 1897.
Furness et Hiller sont à Bornéo en 1896... En fait, Furness monte quatre expéditions vers l'Asie du Sud - Est et l'Océanie entre 1895 et 1903, accompagné d'Hiram Hiller puis d'Alfred C. Harrison. Tous trois étaient fascinés par les peuples de ces "mondes mystérieux" de l'Extrême-Orient ; ils ne se sont donc pas arrêtés à cette grande île et visitèrent une vingtaine de pays, principalement en Asie de l'Est, y compris l'Inde, le Japon, la Chine, la Birmanie, la Thaïlande, le Sri Lanka, et la Russie. En 1896, Furness partit en reconnaissance avec Charles Hose sur le fleuve Baram (Sarawak) et acheta des pièces aux chefs Kenyah. À partir de 1897, Furness retourna sur le Baram, alors que les autres voyagèrent plutôt dans la partie néérlandaise de l’île. Dans toutes ces années, Furness, Harrison et Hiller n'ont pas toujours voyagé ensemble et cela complique les recherches sur leurs itinéraires et les nombreuses notes et documents qu'ils ont laissés.
Quant aux objets, les collections du Penn Museum détiennent environ 2000 artefacts rapportés par ces expéditions. Il suffit d'interroger la base de données du musée pour se rendre compte de la quantité et diversité rapportées. Pourtant c'est Hiller qui écrit : « Il y a un an, un collectionneur néérlandais A.W. Nieuwenhuis est passé chez les Mendalams (Kenyah)... les prix sont terriblement élevés et nous devons marchander comme des commerçants chinois pour avoir quoi que ce soit à un prix décent. Il est évident que Nieuwenhuis a trop gâté ces gens en leur payant le prix qu’ils demandaient »...
En 1903, Furness devient conservateur de la section d'ethnologie générale du Penn Museum.
Les spécimens de la faune recueillis ont été donnés à l'Académie des sciences naturelles de Philadelphie et les doublons sont allés enrichir les collections du Peabody Museum de l'Université Harvard.
Furness n’a jamais écrit sur les collections, il s’intéressait aux peuples et aux origines raciales. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut, entre autres, et télécharger
publié en 1902. Le Penn Museum a également mis à l'honneur cette collection "Harrison - Furness - Hiller" avec une exposition montée en 1989 : The Dayaks, People of the Rainforest.
Un mini documentaire, très intéressant, a été réalisé à l'occasion :
À noter encore que Furness est retourné dans le Pacifique Sud en 1903, et a passé deux mois sur les îles Yap en Micronésie. On lui doit photographies et informations sur les fameuses monnaies de pierre nommée Rai, grands disques généralement en aragonite.
Parmi les personnes qui ont compté pour la connaissance des peuples de Bornéo à la fin du XIXème siècle, et pour la partie néerlandaise, il y a encore le médecin Anton Willem Nieuwenhis, officier dans l’armée néérlandaises des Indes orientales. Il monta une grande expédition dans le Centre de Bornéo avec le zoologue J. Buttiköfer, le botaniste Johannes Hans Gottfried Hallier, et le géologue Gustaaf Adolf Frederik Molengraaf entre 1893 et 1894 ; puis il en entreprit deux autres 1896-1897 et 1898 -1900 avec l'idée de traverser Borneo d’Ouest en Est, de Pontianak à Samarinda. Les objets qu'ils collecta se trouvent maintenant au museum de Leyde. Il laisse un ouvrage publié en 1900 :
Un ouvrage en néerlandais de 700 pages comprenant de nombreuses illustrations... Puis, entre 1904 et 1907, il publie Quer durch Borneo, un millier de pages sur l'ensemble de ses 3 expéditions, avec là encore de précieuses illustrations ; cette fois-ci, un livre publié en allemand.
Les photographies des expéditions ont été prises pour la plupart par Jan Demmeni et on peut les retrouver en ligne dans les collections du musée de Leyde par cette entrée.
Alfred C. Haddon après son expédition dans le Détroit de Torrès sera le premier maître de conférences en ethnologie à Cambridge en 1900. Mais en 1898, il est au Sarawak à l'invitation de Charles Hose. Il s'intéressera alors aux textiles Iban et, à partir d'indications sur les motifs fournies par Hose, écrira un manuel, publié en 1936, qui fera autorité en la matière, Iban or sea Dayak fabrics and their patterns.
Son travail à Borneo est en quelque sorte marginal par rapport à la documentation incroyable qu'il ramena, d'une part, lorsqu'il se rendit pour la première fois dans le détroit de Torrès pour étudier la biologie marine mais aussi pour enregistrer la vie de la population en 1888-1889 ; et bien sûr, d'autre part, lorsqu'il dirigea l'expédition de Cambridge dans le détroit de Torrès dix ans plus tard (objets, notes, dessins, photographies et enregistrements de mythes et légendes des îles). On le retrouvera de nouveau en 1914, en Papouasie Nouvelle Guinée, accompagnée de sa fille, photographe, avec une belle documentation ramenée notamment du Golfe de Papouasie.
La base de données du MAAA Cambridge fournit déjà une importante documentation mais la National Library of Australia met à disposition un ensemble conséquent de Papers of Alfred C. Haddon, quant à la British Library, elle possède des enregistrements.
De nombreux ouvrages, planches de dessins et photographies peuvent être téléchargés selon vos recherches.
Notamment la publication de 1901, Head-hunters; black, white, and brown, traitant à la fois de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et de Bornéo est-elle
Le musée du Sarawak de Kuching a vu le jour en 1886 à l’initiative de Charles Brooke. Le bâtiment, édifié en 1891, abrite une collection ethnographique, de nombreux spécimens d'histoire naturelle et une section sur l'industrie pétrolière au Sarawak.
Le cœur de la collection d’histoire naturelle provient de la collection de Hugh Low, un administrateur britannique avec pour principale passion l'histoire naturelle, qui rejoignit très tôt James Brooke. Ses notes prises entre 1844 et 1846 constituent des documents précieux :
Mais le premier personnage important pour l'histoire des collections ethnographiques est probablement Charles Hose, un administrateur britannique nommé au Sarawak en 1884 par Charles Brooke. Il était passionné par la faune, la flore et la compréhension des modes de vie des peuples indigènes. Sa collection d'objets ethnographiques fut achetée par le British Museum en 1905 (on trouve quelques objets au Horniman Museum et à Cambridge). Il a écrit un ouvrage très documenté et abondamment illustré, publié en 1912 :
Pendant l’occupation japonaise, le musée fut placé sous la direction d’un officier japonais très intéressé par les cultures et il fut préservé de pillages éventuels. Puis, lors de l’occupation britannique de 1947 à 1967, Tom Harrison, le directeur du musée contribua de manière significative à son enrichissement.
En outre, le musée publie depuis 1911 une revue de qualité : The Sarawak museum journal, riche d'articles consacrés à l’histoire naturelle, l’archéologie, l’ethnologie du Sarawak et de Bornéo mais aussi à d’autres thèmes et autres régions de l'Asie du Sud Est.
En août 2017, une partie des collections d’histoire naturelle était exposée au rez-de-chaussée ; le premier étage était quant à lui dédié aux collections ethnographiques et présentait notamment des maquettes de maisons longues des divers groupes ethniques du Sarawak.
Il semble que depuis octobre 2017 le musée soit fermé pour rénovation. Réouverture prévue mi 2020.
Photo 1 : Vitrine au Musée du Sarawak, Kuching, de l'auteure, 2017.
Photo 2 : Extrait de Sarawak ; Its Inhabitants and Productions: Being Notes During a Residence in that Country.
Photo 3: Extrait de The Pagan Tribes of Borneo de Charles Hose.
En cette période estivale, je vais reprendre quelques notes non publiées au sujet de conférences données il y a quelques années dans le cadre de l'association Détours des Mondes, généralement pas ou peu développées sur le Blog. Il y a trois ans, j'évoquais les arts traditionnels Dayak, venant de passer quelques semaines au Sarawak et au Sabah. Peu de choses sont connues de la nuit des temps à Borneo... Mais depuis quelques décennies, des recherches archéologiques se sont mises en place, bien sûr freinées par la présence de reliefs et de zones forestières denses, mais probablement aussi par la volonté de déforestation au profit de la culture intensive de palmiers. Signalons néanmoins que pendant une dizaine d'années, une équipe française a mené des fouilles dans la région de Kalimantan Timur (années 90) sous la direction de Jean-Michel Chazine et François-Xavier Ricaut afin de mieux comprendre le peuplement de Bornéo et ce, suite à la découverte fortuite de ces sites par Luc-Henri Fage.
Cette équipe a pu démontrer que ces grottes avaient été utilisées depuis plus de 10000 ans par des chasseurs-cueilleurs de manière continue, ayant laissé des traces sur les parois des grottes. La présence de cet art pariétal devrait pouvoir éclairer les processus de peuplement entre Asie et Australie. De nombreuses tombes ont été également retrouvées dans les grottes attestant d’anciennes coutumes Dayak, ainsi que du mobilier lithique et des céramiques.
Mais c'était compter sans les ressources actuelles des nouvelles technologies, et récemment, Maxime Aubert (université Griffith, Australie) a montré que ces représentations remonteraient au minimum à 40 000 ans.(cf. video).
Bien plus tard, et la carte ci-dessus parle d'elle même, Bornéo apparait comme un lieu incontournable dans un circuit d'échanges entre la Chine et cette partie de l'Asie du Sud-Est ; la présence de grands fleuves pouvait permettre à des jonques de s'aventurer un peu dans l'intérieur et collecter des produits de commerce.
Dans cette grande île, de multiples peuples cohabitent depuis longtemps. Les Malais et les Chinois sont arrivés essentiellement aux XVIIIe et XIXe siècles. Ils venaient s'installer là comme commerçants, ouvriers pour les plantations, puis des Indous, des Bugis venus des Célèbes, des Indonésiens venus de Java et d'autres encore venus des Philippines. Quant aux Dayaks, considérés comme les véritables indigènes, des "proto-malais", ils sont censés appartenir à une première vague de peuplement. De nos jours, ils ne représentent que le quart de la population.
Parmi les Dayaks, il existent des groupes ethniques bien différents (Iban, Bidayuh, Selako, Melanau, Kayan, Kenyah, Orang-Ulu, Bahau...), chacun suivant un ensemble de traditions (adat) mais pratiquant des rites très différents, parlant des dialectes distincts et menant des modes de vie liés à des environnements divers.
Le terme générique "Dayak" est dû aux Musulmans et aux populations côtières qui les ont ainsi nommés globalement "peuples de l'intérieur". Au cours des siècles, des migrations ont bien sûr eu lieu, créant petits et grands territoires, au gré bien souvent de guerres ou de rivalités tribales.
Quant aux Occidentaux, ils sont présents dès le XVIème siècle avec les Portugais puis un peu plus tard, les Hollandais et les Britanniques. Ils entrent bien sûr en conflit avec les Chinois et les Javanais qui contrôlaient le commerce de la région.
Au XVIIIème siècle, les Hollandais conquièrent Banjarmassin et les Britanniques s’installent au Sabah actuel. Cette dualité explique en partie la division actuelle de l'île, séparée entre l'Indonésie et la Malaisie.
Mais Bornéo est aussi le théâtre incroyable de tentatives de contrôle des terres par des aventuriers occidentaux de tous poils !
Alexander Hare en 1812 obtient ainsi du sultan de Banjarmassin le contrôle d’un petit état indépendant, James Erskine Murray tente de contrôler des terres sur la Mahakam mais sera repoussé, et au Nord c’est l’histoire devenue célèbre de James Brooke qui obtient un royaume à partir de marchandages avec le sultan de Brunei. La dynastie de ce qu'on appellera les "Rajas Blancs" (En Indonésie le "Raja" et non le "Rajah" est le titre du seigneur territorial) débute. Encore de nos jours au Sarawak, on en trouve la trace, et leur mémoire semble respectée.
James Brooke fut ainsi le premier à contrôler, vers les années 1840, un territoire entourant Kuching (capitale du Sarawak) et tenta de réformer le gouvernement géré jusqu'à présent selon les coutumes ancestrales du Brunei. Charles Brooke son neveu lui succèdera en 1870 et continuera la politique de son oncle notamment contre l’esclavage et la chasse aux têtes. Cette dynastie anglaise régna ainsi sur le Sarawak pendant un siècle jusqu'à l'occupation japonaise.
Une exposition passionnante qui embrasse les différents modes pour honorer les ancêtres et conserver les défunts dans une grande partie de l'archipel indonésien avec des oeuvres essentiellement empruntées au Musée National de Jakarta, telle est Ancestors & Rituals actuellement présentée aux Bozar de Bruxelles.
Ce sont encore des textiles, des bijoux en or, des perles qui accompagneront le défunt pour assurer le bien-être de son âme. Le bois sert à réaliser outre les statues bien connues, des poteaux funéraires ou encore des maisons d'esprit telle cette curieuse Balongsong du Nord Sulawezi.
L'exposition nous donne ainsi à voir et explique grâce à des cartels concis les différentes solutions qu'une mosaïque de peuples a trouvé pour répondre à l'angoissante question qu'est le passage de la vie à la mort, des rites correspondant à une tradition encore fortement ancrée de nos jours.
Les porte-bébés Dayak, particulièrement ceux réalisés en bois avec des motifs sculptés, constituent les oeuvres peut-être les plus abouties des arts de Borneo. Ils sont principalement le fait de populations Kenyah/Kayan du Centre et Centre-Nord du Kalimantan.
Dans ces deux exemplaires on remarque bien sûr les petits personnages mais on est tout de suite happé par la force de leurs visages en forme de coeur et leurs bouches aux dents pointues. Les yeux représentés par de grands disques de conus dévorent le visage. Et puis, si notre regard se perd dans les détails, on parvient à distinguer en bas, sur le premier exemplaire les gueules ouvertes d'aso, ces chiens-dragons qui veillent, comme les autres personnages.
Pour les Dayak, l'âme d'un bébé peut partir aisément du corps où elle n'est pas tenue. Dans ce milieu hostile que constitue la jungle de Bornéo, il est bon de s'entourer de toutes les protections possibles. La réalisation d'oeuvres aussi richement décorées, aussi raffinées, va ainsi permettre de retenir les esprits bienveillants auprès du bébé, alors que les grelots (qui peuvent être aussi prestigieux que des dents de tigre) attachés par les Anciens, pourront permettre de chasser les esprits malveillants qui voudraient égarer l'âme du nourrisson.
Les porte-bébés perlés sont beaucoup moins rares que les exemplaires en bois sculpté, mais comportent toujours des motifs complexes, intriqués, exubérants. Ce dernier présenté au Pitt Rivers Museum fut collecté par Charles Hose, un administrateur britannique qui rejoignit très jeune (il n'avait que 21 ans en 1884) le second rajah, Charles Brooke. Grâce à lui, le Sarawak Museum de Kuching vit le jour et fut érigé en 1891 avec dès le départ l'apport de collections importantes de spécimens d'histoire naturelle, mais aussi de textiles Iban et quelques artefacts de ces populations Dayak à l'époque bien méconnues de l'administration coloniale.
On lui doit l'un des premiers ouvrages : The Pagan Tribes of Borneo publié en 1912.
Soulignons au passage la revue éditée par le musée The Sarawak Museum Journal, qui a vu le jour en 1911 et continue à produire de nombreux articles de qualité sur les sciences naturelles et sciences humaines des régions de Borneo et alentours de cette partie de l'Asie du Sud-Est. Il s'agit d'un des plus anciens périodiques existant sur ces questions.
Ce porte-bébé, appartient aux collections du Penn Museum de Philadephie et fut collecté par William H. Furness III avant 1897. Un drôle de personnage également que ce riche Américain partant dès 1895 avec deux jeunes amis pour des destinations lointaines et exotiques ! Le XIXème siècle avec la fascination que Bornéo pouvait exercer, a vu une série de jeunes aventuriers, explorateurs de tout poil, naturalistes ou aventuriers sans scupules débarquer sur ses côtes !
Furness rencontrera Hose et ils remonteront ensemble le Baram, achetant des objets aux chefs Kenyah. Ce porte-bébé perlé fait partie de ces collectes...
Ce dernier exemplaire en fait également partie. Bien que non décoré, il montre l'importance des grelots, ici un nombre conséquent de coquilles afin de produire du bruit au passage de l'enfant. Furness n'a malheureusement jamais écrit sur les collections. Plus tard, il deviendra le conservateur de la section Ethnologie du Penn Museum de 1903 à 1905... Des destins "romantiques"...
P.S : Je viens de me rendre compte que j'avais déjà écrit sur ces objets : Un Porte -bébé du Kalimantan, article de 2012... tant pis... mais le propos n'est heureusement pas le même !
Travaillant sur une introduction aux arts Dayak dans le cadre des conférences Détours des Mondes, il était naturel de faire un tour sur le plateau des collections d'Asie du Sud-Est au musée du Quai Branly. (Après être tout de même allée à Borneo !) Six sculptures y sont installées, de styles très différents, la plupart pourtant réalisée par des populations Ngagu ou apparentées, populations du Sud - Sud Est de Borneo, dans la partie indonésienne que constitue le Kalimantan.
Les Hampatong, ce sont ces images anthropomorphes sculptées dans le bois de Bélian ou bois de fer dont les fonctions ont parfois du mal à être définies. Pour faire simple, on affirme qu'elles sont des gardiens chargés de chasser les esprits malfaisants ou de tenir à distance les épidémies... ainsi on se sent quelque part rassuré, car il faut bien reconnaître que la statuaire Dayak est bien souvent féroce !
Quoi de cruel pourtant dans ce visage un peu benêt ? Ne pas se fier aux apparences rapides, car ce grand "dadais" presque prostré, a la langue tirée pour afficher une cruelle détermination, et tient sous son bras gauche une petite tête ! La base cylindrique ornée de motifs floraux où il est assis fait probablement référence au cycle de la vie et de la mort, vie pour la parentèle de cet ancêtre devenu protecteur, mort pour l'ennemi dont on vient de prendre la tête. Un sacrifié qu'il ne faut offenser et pour lequel un buffle attaché à ce poteau et égorgé rituellement constituera l'une des offrandes propitiatoires.
Celui-là ci-dessous ne cache pas son jeu : Fier, il sait qu'il est le représentant d'une noble famille. Les secondes funérailles qui lui sont ainsi offertes seront dispendieuses, honorant sa vie passée de grand guerrier, de "coupeur de têtes" et indiquant de manière ostentatoire la puissance de sa descendance capable de dépenser beaucoup à l'occasion de ces cérémonies funéraires. À la base du poteau, la sauvagerie ne se cache pas dans cette gueule qui n'est déjà plus humaine. Il faut sacrifier au grand homme des dizaines de cochons voire des dizaines de buffles afin de "terminer la mort" pour l'âme du défunt.
Le poteau Blontang (ci-contre) des Benua présente quant à lui un personnage la main droite posée sur le coeur ; geste de politesse que les Dayak font lors d'une salutation, geste humble des bras des défunts reposant lors de la veillée funèbre. Plus modeste ? Ce n'est pas sûr... il n'est que de remarquer la taille disproportionnée de son sexe et l'existence d'une petite langue qui pointe au centre de la bouche ! Outre un fragment de poteau Kenyah, très largement orné de motifs d'aso (ce chien-dragon qui entre en scène dans les mythologies Dayak en lien avec le monde inférieur), et que l'on peut apercevoir à l'arrière plan de la dernière photo ; la pièce la plus surprenante du plateau des collections consacré à l'art de Borneo est sans nul doute la dernière acquisition du musée !
Il s'agit d'un poteau Modang : Dans cette association de figures anthropomorphes et zoomorphes, l'esprit peine à chercher ce qui peut le rattacher à l'humain. Des varans semblent envahir son corps... Est-on à mi-chemin entre le monde inférieur et le monde supérieur où doit aller reposer l'âme de l'ancêtre ?
Ineffable objet dont la description restera toujours en deçà de la chose... Il n'est pas sans nous faire songer à cet autre "indicible" exposé il y a quelques années à Paris !
- Bataille M.-Cl., 1974, « Sculpture funéraire de Borneo » in Objets et Mondes 14.
- De Grunne B., 2015, Dayak 2 from Borneo, catalogue, Frieze Masters : en ligne ou à télécharger
- Feldman Jerome (Ed.), 1985, The Eloquent dead : ancestral sculpture of Indonesia and Southeast Asia, Los Angeles, Calif. : UCLA Museum of Cultural History.
- Gavin Traude, , 1996, « Naming and Meaning : Ritual Textiles of the Iban of Sarawak », University of Nebraska en ligne
- Goldman Ph., 1975, Dayak Sculpture from Kalimantan, London Gallery 43.
- Guerreiro A., 1991, Bornéo, des « chasseurs de têtes » aux écologistes, Editions Autrement, Série Monde N°52
- Guerreiro A., 2012, « À propos d’un crane gravé de Bornéo » in Archipel 84.
- Haddon Alfred C. & Start Laura E., 1936, Iban or sea Dayak fabrics and their patterns, University museum of archaeology and ethnology.Cambridge
- Heppell M. & Maxwell R., 1990, Borneo and beyond : tribal arts of Indonesia, East Malaysia, and Madagascar, Singapour, Bareo Gallery.
- Heppell M., & Limbang Anka Melaka & Enyan Anak Usen, 2005, Iban Art
- Hose, Charles & William McDougall (1912), The Pagan Tribes of Borneo. A Description of Their Physical, Moral and Intellectual Condition, with Some Discussion of Their Ethnic Relations, MacMillan and Co Ltd
- Lumholtz C., 1920, Through Central Borneo : an account of two years' travel in the land of the head-hunters between the years 1913 and 1917, New York : C. Scribner's sons.
- Morrison Hedda, 1962, Life in a longhouse, Yea Tin Tong Printing Press Hong Kong.
- Nieuwenhuis A. W., 1904, Quer durch Borneo, Leiden en ligne
- Pataud Célérié Ph., 2004, « Rencontre avec les Iban du Sarawak à Borneo » in Art Tribal 06
- Revel MacDonald N., 1978, « La danse des hudoq » in Objets & Mondes 18
- Schärer H., 1963 (1946), Ngaju Religion : The conception of God among a south Borneo people, La Haye, Martinus Nijhoff.
- Sellato Bernard, 1989, Naga dan burung enggang = Hornbill and dragon : Kalimantan, Sarawak, Sabah and Brunei, Jakarta Kuala Lumpur : Elf Aquitaine Indonésie Elf Aquitaine Malaysia
- Waterson R., 1990, The Living House. An Anthropology of Architecture in South East Asia, Oxford Un. Press.
- Winzeler Robert L., 2004, The architecture of life and death in Borneo, University of Hawaï Press.
n.b : Toutes les bibliographies de ces conférences datent de l'année de la conférence et ne se veulent pas exhaustives ... à compléter par de nouvelles publications !
Le nom même de Borneo véhicule tout un imaginaire exotique dans lequel des tribus de coupeurs de têtes cohabitent avec les féroces animaux d’une jungle inextricable et hostile ! Joseph Conrad en a fait la toile de fond de son premier roman La Folie Almayer en 1895, ayant pourtant été informé, rappelle-t-il dans sa préface, que
« dans sa critique de cette littérature qui fait sa pâture de gens étranges et hante les pays lointains, à l’ombre des palmes, dans l’éblouissement cru de places écrasées de soleil, parmi d’honnêtes cannibales et des pionniers plus évolués de nos glorieuses vertus, une dame… a résumé la désapprobation qu’elle lui inspire en disant que les récits qu’elle produisait étaient « décivilisés ». »
Et pourtant… admirable roman où flotte une épave d’Occident entre le monde des indigènes et celui des colonisateurs, plongé au coeur d’une nature somptueuse et indifférente.
Bornéo de nos jours est tout sauf « décivilisée », et je n’ai pu que constater cet été les ravages de la déforestation au profit de la culture de l’huile de palme et le développement du tourisme de masse asiatique dans les stations balnéaires. La Malaisie orientale (Sarawak et Sabah) offre un visage résolument moderne et les musées d’ethnologie de ces deux états affichent sans pudeur les crânes que les anciens Dayak avaient ôtés à leurs ennemis, témoins aux yeux des Malaisiens contemporains, d’un lointain et regrettable passé et d’ineptes croyances.
Pourtant, si l’on accepte de passer quelques heures dans une sommaire pirogue motorisée, il existe des villages paisibles où se construisent encore des maisons longues (modernes avec des toits de tôle) et qui connaissent les grandes fêtes Gawai pour la récolte du riz où chantent les gongs, dansent les costumes traditionnels, se dressent les grands calaos de bois, et se consomme sans modération l’enivrant tuak !
Mais les vieilles histoires sont perdues et il me faut rechercher dans les écrits des missionnaires, des explorateurs, des administrateurs de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, et dans les rares catalogues d’exposition, le sens des objets que nous pouvons admirer dans « nos » musées ou galeries(cf. par exemple Bruce Franck et les amulettes Dayak du dernier Parcours des Mondes).
Repérage aujourd'hui au musée du Quai Branly des oeuvres Batak et de l'île de Nias pour ma prochaine conférence sur les monuments de pierre en Indonésie. Celle-ci fera suite à celle sur Sumba d'octobre dernier. Ainsi que nous l'avions constaté sur les maisons et maints objets (notamment ceux des datu), le motif du singa, cet animal mythique, mélange de dragon, de serpent et de l'éléphant, est omniprésent dans l'art Batak. Nous le retrouvons naturellement dans la sculpture de pierre, comme ici à l'avant du sarcophage de Ompu Raja Sojoloan Sidabutar à Tomok dont la tête surmonte un petit personnage (le premier occupant de cet ossuaire ?). À l'arrière, une représentation féminine tient un bol entre ces mains ; un autre est posé sur sa tête.
Le singa est probablement une représentation du Naga Padoha, maître du monde souterrain pour les Batak. Chez les Pakpak et notamment pour la branche méridionale (les Simsim), un sage venu d’Inde, le Guru Mpu Pandia Kalasan, aurait "instauré" il y a plusieurs siècles, l'obligation d'incinérer les ossements des défunts. C'est pourquoi parmi ces Pakpak Batak, les Simsim et les Kalasan ne possèdent pas de grands sarcophages vus en pays Toba Batak, mais de petites urnes à cendres placées devant les statues équestres. La monture peut-être un cheval, un éléphant mais aussi bien sûr un singa.
Un peu plus loin sur le plateau des collections, c'est un autre animal qui surprend, représenté dans la pierre. Dans l'espace réservé aux oeuvres de l'île de Nias, nous découvrons effectivement deux statues anthropomorphes assez différentes et quelque peu étranges mais aussi deux sièges de pierre monumentaux possèdant des têtes d'un animal que l'on ne sait identifier de prime abord.
Ces sièges, appelés osa osa, sont caractéristiques du centre de l'île. Ceux-ci étaient réalisés en commémoration de fêtes données pour l'obtention d'un nouveau grade. En effet, il existait à Nias (de manières différentes selon les régions de l'île) des fêtes organisées par les hommes qui souhaitaient conquérir de la considération, du prestige, un rang, des titres. Ces fêtes constituaient des occasions de tuer des porcs, de fabriquer des ornements d’or et, pour les grades supérieurs, d'ériger des monuments de pierre et, il y a longtemps, de perpétrer des sacrifices humains.
Dans le Nord, lors de ces fêtes (et la rare photo de F. M. Schnitger de 1939 le montre), les hommes qui accédaient à un grade élevé étaient promenés en triomphe sur une sorte de palenquin de bois. C'est curieusement au centre de l'île que l'on trouve les plus beaux osa osa de pierre avec un ou plusieurs cous. Mais quel est donc cet animal mystérieux dont la (ou les) tête(s) surgit(ssent) ?... Un être hybride, un mélange de calao, de cerf... un lasara ! Aussi mystérieuse que celle du singa Batak, la tête de lasara présente une large gueule aux lèvres charnues et à la langue pendante, des crocs et parfois un morceau de bec de calao ! Elle est surmontée de cornes peut-être celles d'un cerf. Toutes ces caractéristiques lui confèrent l'aspect d'une tête de dragon, une créature composite étrange mais toujours puissante protectrice des nobles niassais et de leurs ancêtres.
Les tombes et stèles (les kadu watu ou cornes de pierre) de l'Ouest de Sumba correspondant à des personnages particulièrement importants, sont ornées de motifs reprenant les formes des bijoux composant le trésor des familles nobles.
Ces bijoux sont essentiellement les mamuli, ces boucles d'oreilles en forme d'oméga aux rebords finement ciselés de figures élégantes. Ces objets ne sont pas réellement des boucles d'oreille mais des biens qui circulent notamment lors de compensations matrimoniales ou encore de funérailles.
Certains ont rejoint les possessions des Marapu (textuellement "Grand-Père en tant que créateur et source de vie"). Dès lors, ils ne circulent plus. Ils sont devenus trop "chauds" car chargés du pouvoir de ces Ancêtres ou Esprits.
À côté des mamuli, on trouvera encore ces pectorals recourbés, en or, imposants, que sont les marangga.
Une photographies des années 30 du Tropenmuseum montre le Raja d'Anakalang exhibant son importante collection de bijoux. Parmi eux figurent aussi des lamba (ou tabelo) qui sont des diadèmes en or.
Le fait que ces objets soient devenus possessions des Marapu les rend dangereux à être portés. Aussi, assiste-t-on à une curieuse coutume qu'est la présence de Papanggang lors des funérailles.
Georges Bréguet qui a assisté à celles de la reine Tamu Rambu Yuliana en 2003 (cf. son article), nous apprend que des esclaves, les Papanggang, deviennent ce jour là gardiens et substituts des nobles défunts. Ce sont eux qui sont alors chargés de porter les bijoux afin d'accompagner l'âme de leur ancienne maîtresse dans sa dernière demeure.
Si dans certaines sociétés, les mâchoires de cochons exposées sont source de fierté puisque leur nombre révèle l'importance des sacrifices accordés par la famille à l'occasion d'une cérémonie ; il n'en demeure pas moins qu'il faut en toute circonstance garder le sens pratique.
Et ces précieuses canines, qui en d'autres lieu ( je pense au Vanuatu), sont l'objet d'attentions des plus délicates pour être recourbées à l'extrême, rejoignent ici, pour certaines, le lot des objets utilitaires. Réduits à de simples crochets de suspension, ils ne portent ni des bilums ni des crânes (Les Sumbanais n'étaient-ils pas réputés comme chasseurs de têtes ?) mais les effets (bien rares, les villages sont si pauvres) de la modernité !
L'île du bois de santal, je l'avais annoncé, constitue un titre exotique, prometteur de paradis lointain pour ce dernier voyage. Peuple fier sur ses petits chevaux fougueux, Anciens entretenant la tradition Marapu et conduisant de "fastueuses" cérémonies pour honorer les Ancêtres, société aux structures complexes marquée par les dons et contre-dons... tout est en place dans ce tableau pour séduire le voyageur en quête d'exotisme ou l'apprenti ethnologue !
Mais les paradis perdus n'existent pas et ce sont des visages aux lèvres rouges et aux sourires édentés qui m'accueillent sous la véranda. La misère est bien là et, si en ce mois d'août les greniers sont encore pleins, la saison des pluies arrive avec l'automne et la famine sévira.
Aussi, bien sûr au-delà du discours sur les pierres sculptées belles mais déjà muettes, mes premières pensées ici vont à ces familles vivant bien durement au jour le jour, et dont les jeunes commencent à découvrir la modernité. Le système de société communautaire a déjà basculé. Les raisons ? Mon survol de la région Ouest Sumba, cet été, ne peut m'autoriser à une quelconque analyse sérieuse de la situation. Parmi elles, il y a bien sûr le développement du catholicisme et peut-être avec lui l'individualisme et le sens de la propriété grandissant ; bien sûr aussi la corruption, les sécheresses exceptionnelles, cette maudite question de l'eau... tout concourt à une paupérisation. Mais de l'autre côté la tradition Marapu ne peut plus apporter de solutions : L'obligation de tuer un nombre important de cochons ou de buffles lors de funérailles conduisent des familles entières dans une spirale de dettes qui sacrifiera les études universitaires du fils à venir ou en cours.
Je me contenterai donc de rester à la surface des pierres et donc des choses...
Contrairement à Florès ou Sumatra que j'évoquais, des villages entiers ont conservé leur toit de paille, l'eau et l'électricité n'y parviennent pas. Des enceintes de pierre cernent des villages exposés très tôt aux razzias d'esclaves, les maisons s'ordonnent autour d'aires souvent circulaires où sont installées les tombes.
Les monuments "mégalithiques" que sont les tombes sumbanaises constituent de véritables défis à la force humaine qui a réussi à hisser dans des villages souvent perchés dans les collines ces dalles de pierre dont l'épaisseur est à l'aune du prestige du défunt. Les tombeaux des nobles seraient ceux qui sont par surcroît protégés par une autre dalle de pierre soutenue par quatre gros piliers.
D'autre encore arborent des stèles décorées. Personnages, cornes de buffles, gongs, chevaux sont les motifs les plus courants dans cette partie Ouest de Sumba et veulent témoigner de la splendeur passée de leur propriétaire...
Les nouveaux monuments funéraires mêlent la forme du caveau de la tradition Marapu et l'iconographie chrétienne : peut-être une sorte de pari de Pascal revu et corrigé dans cette partie du monde. La crainte des ancêtres qu'on aurait mal honorés est réellement vivace de nos jours... et Jésus, qui est censé nous aimer, peut-il aussi faire quelque chose pour nous ? Comment ne pas comprendre cette croyance duale lorsque la vie de chaque jour n'est que dénuement ?
Mais restons donc à la surface de ces tombeaux : qu'ont-ils à nous raconter ? Pierres muettes, avaleuses de mots et d'histoires, beaucoup ont enfoui paradoxalement le nom des grands et des puissants qui gisent en leur sein. Mais c'est grâce à elles que nous venons dans ces villages, que nous parlons d'eux, de ces femmes et enfants qui passent leur journée à la corvée d'eau... la contemplation in-situ de ces oeuvres mégalithiques n'occulte pas une de leur fonction primordiale : être des ambassadeurs, des messagers des cultures ici présentes, et ici bien vivantes.
...à suivre lors d'une conférence au sein de l'association Détours des Mondes les 6 et 7 octobre prochain.
Le titre est emprunté à celui d'un article de Janet Hoskins (So my name shall survive) Photos de l'auteure, août 2015, Sumba Ouest.
Je me souviens de ce séjour dans le village Ngadha de Gurusina, au coeur de Florès (cf. mon article de septembre 2011) avec, en son centre cet énigmatique groupe de pierres dressées. Plus "touristique", le village de Bena possède aussi son lot de mégalithes dressés (ture lenggi) mais malgré leur célébrité,les interprétations demeurent hasardeuses quant à leur relation avec les ancêtres. (photo ci-dessous)
L'année dernière, au coeur du pays Batak, j'ai découvert aussi des mégalithes et plus généralement des sculptures de pierre plus ou moins récentes, des sarcophages, des effigies d'ancêtres à cheval... Elles sont bien connues et ont été étudiées.(cf. par exemple des ouvrages de J.-P. Barbier Mueller qui a dressé l'inventaire des monuments en pierre de la région du Haut-Barus lors de ses voyages en pays Batak de 1974 à 1996).
Dans quelques jours, c'est à nouveau vers les petites îles de la Sonde que je m'envole, plus précisément entre Bali et Timor, dans l'île du Santal ! Ce nom fut donné à Sumba dès l'époque des premiers navigateurs portuguais vers 1522...
La région de Sumba Ouest, où je séjournerai, est connue pour une population fortement croyante et respectueuse de la religion traditionnelle marapu. Dans celle-ci, la cohabitation des vivants et des défunts est au coeur de la vie quotidienne et les funérailles sont des occasions exceptionnelles dont la magnificence des tombes mégalithiques constitue le témoin de leur importance... je vous en dirai plus le 6 octobre lors de
la prochaine conférence de l'association !
La galerie Cedric Le Dauphin présentera à l'occasion de Paris Tribal 2015 des bijoux antiques de l’Asie du sud Est, des bagues d’Indonésie ou de la péninsule indochinoise, des colliers Pyu de Birmanie en or et agates à bandes.
Mais ce sont les lames noires de Bali qui retiendront mon attention. Cédric Le Dauphin nous donne des précisions sur la fabrication de ces lames rares, réalisées pour l'aristocratie balinaise :
"Le kriss est un élément essentiel du paraître indonésien et ce depuis le XIVème siècle. Symbole de rang social plus qu’une arme, le kriss est présent partout dans tout l’archipel malais. Sa lame, élément porteur de la magie et de l’ésotérisme, est réalisée par le forgeron, l’Empu, après avoir jeuné et prié plusieurs jours durant.
Le kriss a une lame damassée. Cette matière est en fait un mélange feuilleté principalement constitué de fer et de nickel. La matière obtenue par pliages et étirements multiple s’appelle le Pamor. Ce processus de forgeage vise à créer une matière « souple » qui va être fixée sur une feuille d'acier qui constitue le cœur dur de la lame.
Les matériaux servant à la fabrication du Pamor sont très nombreux. Pour obtenir le Pamor, selon la tradition, un bon kriss est forgé de 7 métaux et minéraux différents. Celui du Héros de l'histoire de Malacca, Hang Thua, est réputé pour avoir été forgé de vingt métaux différents provenant d’autant de lieux, de Bali à Istanbul.
Le Pamor est révélé par une réaction à l’acide qui contraste des motifs clairs de nickel sur le fonds bleui jusqu’au noir. Et bien que l’on distingue deux grands types de Pamor, il existe plusieurs centaines de différents motifs répertoriés et classés aux propriétés magiques et ésotériques.
À Bali, les kriss sont plus grands que ceux du reste de l’archipel. Les lames restent dans leur grande majorité apparentées à celle des autres productions indonésiennes. Mais il y eu un temps et un espace dans lequel une école de forgerons développa une technique spécifique pour forger les Lames Noires de Bali.
Cette production de grandes lames présentent une forge nette, très précise, une matière noire, polie, ou fourmille des cheveux d’argent.
La fabrication de ce Pamor diffère de celle du Pamor ordinaire non pas par la méthode de diffusion du carbone dans le fer, mais essentiellement son trempage.
Comme ailleurs, l’ajout de carbone au fer se fait par diffusion solide en chauffant le fer et en lui adjoignant bois et minéraux. Leur combustion crée une diffusion solide dans le métal qui n'atteint pas son point de fusion mais s'enrichi en carbone.
Le secret de l’Empu Balinais tient dans la maîtrise de la température de forge. En effet, le fonds noir des lames balinaises est constitué de perlite. Elle provient du refroidissement lent du Pamor par aspersion d’huile.
Cette technique de refroidissement est moins lente que celle à l’air, ce qui limite la production de ferrite et favorise la formation de cémentite, tout en étant moins violente que par immersion dans un liquide, ce qui préserve la perlite de sa transformation en martensite de couleur gris clair.
Ainsi naissaient les lames noires qui étaient ensuite polies et pour lesquelles étaient fabriqués les plus beaux fourreaux et poignées.
Ce type de forge a été observé de la fin du XVIIIème siècle à la fin du XIXème siècle et uniquement sur l’île de Bali".
Texte et Photo : Courtoisy Galerie Cedric le Dauphin.
La galerie Aethiopia sort des sentiers battus pour Paris Tribal 2015 en présentant de très belles poteries coréennes.
Celle-ci fournit des précisions sur cet art de la poterie en Corée qui nous est encore méconnu :
"L'usage de l’argile remonte à l'époque néolithique (6000 à 5000 av.J.C.), les poteries sont poreuses et cuites à faible température, environ 700°C. À l’époque de l’âge du fer, vers 300 av.J.C, le tour du potier fait son apparition, les formes deviennent plus sophistiquées, les poteries à pied font leur apparition.
La période des Trois Royaumes (-57 - 676) voit la création de fours clos permettant d’obtenir une température de cuisson supérieure et donc des poteries plus résistantes et des teintes différentes dû à la combustion sans oxygène : les Yongil au ton brun rappellent les poteries de l’âge de fer et les Wajil, à la teinte bleue-grise annoncent les céladons.
Puis avec la dynastie Silla unifié (668-935), plusieurs changements font leur apparition : les récipients à couvercle se font plus populaires et les pieds des récipients deviennent plus courts. Des bouteilles et des flasques à long cou font leur apparition. De par la nouvelle influence du bouddhisme, les urnes funéraires deviennent populaires. Les céladons (une influence chinoise) font véritablement leur apparition.
La période Koryo (918-1392) est considérée comme l'âge d'or de la céramique en Corée. Les pots ont des lignes très pures, la sophistication des décors (dessins de feuillages, formes géométriques, poissons et insectes stylisés, peints ou gravés sur le corps de la terre) témoignent du style de vie raffiné et du goût recherché du clergé et des nobles de cette époque. Les Coréens étaient fascinés par la profondeur et la transparence de l'émail céladon, par la subtile couleur bleu- vert qui recouvrait la très grande majorité des pièces. Il existait parallèlement une production de porcelaines blanches.
Durant la dynastie Joseon (1392-1910), connue également sous le nom de dynastie Yi, la poterie Coréenne est produite à une grande échelle commerciale et est exportée. La qualité de la poterie s’est également considérablement améliorée. Et comme pour les précédentes périodes, on trouve toujours des poteries de stockage (de couleur brun, noir), des céladons, des porcelaines blanches…"
Quelle est la particularité de la céramique Coréenne ?
"Les céramiques changent de forme, de style, suivant les périodes de fabrication, les régions où elles sont créées, les mains des artisans et surtout suivant les nouvelles techniques acquises. Mais pour ceux qui s’intéressent à la beauté de la céramique asiatique, on peut différencier les pièces Chinoises, Japonaise et Coréennes :
Les pièces Chinoises sont généralement plus grandes et plus colorées, les Japonaises plus sophistiquées, délicates (plus Yin), alors que les Coréennes ont une beauté discrète et naturelle, parfois plus brute (Yang)….
Quel que soit le style des pièces, l’excellence de la poterie Coréenne est reconnue bien au-delà de ses frontières ; celle-ci a captivé à tel point les esprits des Japonais qu'elle a profondément influencé leur sens esthétique et même modifié, à plusieurs reprises, l'histoire de la céramique dans l'archipel. L’exemple le plus frappant est l’invasion Japonaise de 1592 – 1597 en Corée est également connue sous le nom de « guerre des potiers ». Cette guerre laissa la péninsule Coréenne dans un tel état de dévastation que de nombreuses années de misère et de disette s'ensuivirent.
Les chefs de l'armée Japonaise emmenèrent de force de très nombreux potiers, ainsi que leurs familles, afin de produire, sur place, les poteries dont ils possédaient les secrets techniques et esthétiques.
Les potiers y étaient alors considérés avec respect, et le produit de leur travail fort estimé. Ils introduisirent au Japon les fours à plusieurs chambres, de grands progrès techniques (ils permettaient un meilleur contrôle de la température de cuisson) et les tours à pieds plus efficaces que les tours manuels utilisés alors par les Japonais. Le nombre de potiers Coréens installés au Japon a dû être considérable. L'exemple le plus significatif est celui des 80 potiers capturés après la sanglante bataille de Namwon, et emmenés avec leurs familles dans la région de Kagoshima (à l’extrême pointe sud du Japon) où ils fondèrent la tradition de la célèbre céramique de Satsuma (la ville de Kagoshima représente, depuis le XVIe siècle, l'un des hauts lieux de la céramique Japonaise. Les potiers Coréens étaient placés sous la protection du clan Satsuma, d'où le nom donné à ces céramiques, dont les premières furent réalisées avec des matériaux importés de Corée, (terre et couverte). Ces artistes Coréens ont gardé leur langue et leurs coutumes malgré des siècles d'implantation en terre étrangère.
Photos et texte : Courtoisy Galerie Aethiopia - 23 rue Guénégaud - 75006
Bouteilles à alcool – Corée, dynastie Koryo, Xe siècle. Grés. Hauteur : 14 cm, 8 cm, 17 cm, 9 cm, 12cm.
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