Michel Thieme présentait lors du dernier Parcours des Mondes un très bel objet, bien documenté. En effet, cette proue de pirogue fut collectée par Jac Hoogerbrugge auprès des habitants du village de Oinaki à l'est de Humboldt Bay en 1958.
Qui était ce personnage ?
Jac Hoogerbrugge est né en 1923 et mort en 2014. Il fut en poste en Indonésie et en Nouvelle-Guinée. Ces différentes fonctions lui ont permis d'approcher les cultures Batak à Sumatra, Dayak à Bornéo, les populations Asmat ainsi que celles du lac Sentani et de la baie de Humboldt en Nouvelle-Guinée.
De retour aux Pays-Bas, il poursuivit sa collection par l'entremise de marchés aux puces et de ventes aux enchères, mais aussi par le biais de ses excellentes relations dans les milieux missionnaires et avec d'anciens coloniaux. Il s'est toujours efforcé de documenter ses objets en explorant les archives coloniales et celles des missionnaires.
(Voir photo ci-dessus).
Cette proue a été particulièrement bien conservée puisqu'elle fut récupérée après une bataille, lavée et conservée comme trophée par l'un des antagonistes.
Quant à Jac Hoogerbrugge, sa biographie nous est fournie par Raymond Corbey qui s'est entretenu avec lui en 2000 et dont voici quelques éléments traduits à partir d'un texte fourni par Michel Thieme :
Jac arriva en pays Batak en 1954. Il connaissait déjà l'Indonésie car il avait servi comme officier néerlandais entre 1946 et 1949 puis, il avait travaillé pour la Royal Dutch Shipping Company à Jakarta.
Il collecta ses premiers objets Batak avec son épouse et l'aide de rabatteurs qui allaient jusqu'à Nias.
Mais il raconte qu'il eut une autre manière, bien plus directe, d'avoir accès à des objets : il était un bon joueur d'échecs comme beaucoup de Batak, et de plus il aimait dessiner, ce qu'il faisait beaucoup dans les villages : Ces activités lui ouvrirent de nombreuses portes et il se passa de ses intermédiaires.
En 1956, on le retrouve à Hollandia (actuellement Jayapura), capitale de la Nouvelle-Guinée néerlandaise. Il va très souvent dans les villages du Lac Sentani et de la Baie de Humboldt, il dessine et peint. Il acquiert ainsi beaucoup d'informations sur les motifs des artefacts, les mythes de création, les significations des chansons, des danses...
Ce poteau ci-dessous maintenant conservé au Metropolitan Museum fut collecté en 1956. Il s'intéressera également aux figures
korwar de la baie Geelvink.
Lorsque la partie néérlandaise de la Nouvelle Guinée devint indonésienne, Jac retourna vivre deux ans aux Pays-Bas puis fut de nouveau envoyé à travers toute l'Indonésie afin de trouver de nouvelles opportunités d'affaires toujours pour la Royal Dutch Shipping Company.
Il écrit sur ces années 1964-1966 :
" Doté d'une bonne liasse de billets, je partis à l'aventure. Ce furent des années folles durant lesquelles j'ai pris beaucoup de plaisir. Le pays avait été ébranlé : les soldats et les provinces rebelles contestaient l'autorité de l'Etat. Mais avec de l'argent, de la patience et une langue bien pendue, je me faufilais et je pouvais aller partout : de Sumatra à travers les îles de la Sonde jusqu'au cœur des Moluques. Je trouvais des objets incroyables. Par exemple, dans les petites villes des côtes de Bornéo, je pouvais acheter de fines machettes, richement décorées et différents types de sculptures sur bois Dayak... ».
Dans toutes ses pérégrinations, Jac Hoogerbrugge avait eu l'occasion de séjourner en pays Asmat. Aussi fut-il considéré comme le candidat idéal en 1968 lorsque l'UNESCO rechercha un homme dont la mission serait de faire revivre l'art de la sculpture sur bois chez les Asmat :
"Quand je suis arrivé là en 1969 l'art était complètement mort ! Les maisons cérémonielles étaient vides. On trouvait encore quelques bonnes sculptures mais seulement dans des villages isolés. Juste après la prise de contrôle de la Nouvelle-Guinée occidentale, les Indonésiens avaient interdit les fêtes et les rituels traditionnels. Toutes les sculptures ont alors été systématiquement détruites. En effet, à leurs yeux, elles étaient trop étroitement liées à la chasse aux têtes... "
Entre 1968 et 1972, Hoogerbrugge montra des photographies de sculptures à des Anciens Asmat et encouragea les méthodes traditionnelles afin de favoriser la création de nouvelles pièces. Un magasin fut ainsi créé à Agats, la capitale de la région, où les sculpteurs pouvaient venir vendre leur travail à un prix équitable. Plusieurs milliers d'objets furent ainsi produits, en particulier les figures d'ancêtres, des boucliers de guerre et les grands poteaux d'ancêtres (les
mbisj).
Jac les catalogua soigneusement, les dessina et/ou les photographia.
Dans le même temps Jac acquit pour son compte personnel d'anciens boucliers et sculptures sur bois, qui avaient joué un rôle dans les rituels Asmat. Ces éléments lui ont été apportés sur la côte ou obtenus au cours de ses fréquents voyages dans l'intérieur des terres, souvent en compagnie d'amis missionnaires.
De retour aux Pays-Bas, dans les années 1970, Jac poursuivit ses acquisitions essentiellement dans des marchés aux puces et des ventes aux enchères.
Il se consacra à recueillir toute la documentation possible sur la Nouvelle Guinée néerlandaise et commença à publier sur le lac Sentani puis les Asmat. Son ouvrage le plus connu du grand public est
Asmat: Arts, crafts and people - A photographic diary, 1969-1974 publié en 2011, concernant son travail avec l'UNESCO et riche de plus de 700 photos.
Jac a estimé que cette publication devrait être bilingue, anglais-indonésien et donc accessibles aux Asmat eux-mêmes. Tout comme ses publications, il a souhaité que les objets de sa collection circulent au travers d'expositions.
Regardez donc les provenances sur les cartels des musées, il y a toujours des histoires d'homme plus ou moins belles, plus ou moins longues, derrière les collections.
Sources : Texte et photos : Courtoisy Michel Thieme. Traduction libre de l'auteure.
Photo 1 : Proue de canoe - Baie de Humboldt © Michel Thieme.Photo © Frank Verdier, 2015.
Photo 2 : Page de documentation sur cette proue de Jac Hoogerbrugge.
Photo 3 : Jac Hoogerbrugge, Jakarta 1950, courtoisy Michel Thieme.
Photo 4 : Dessin d'une femme du Lac Sentani de Jac Hoogerbrugge, courtoisy Michel Thieme
Photo 5 : Poteau du Lac Sentani © Metropolitan Museum, 1978.412.842a.Collecté par Jac Hoogerbrugge
Photo 6 : Couverture de l'ouvrage de Jac Hoogerbrugge, 2011.
Photo 7 : Jac Hoogerbrugge, Agats 1970, courtoisy Michel Thieme.
Photo 8 : Jac Hoogerbrugge, Capelle, 2010, courtoisy Michel Thieme.