Dans l’année 1771, un peintre strasbourgeois vient s’installer à Londres, il s’agit de Philippe-Jacques de Loutherbourg. Un peu plus de dix après, on le retrouve à la tête du Théâtre royal de Drury Lane. Rencontre-t-il John Webber, encore à Londres et connu depuis son retour en 1780 par les gravures du troisième voyage qu’il supervisait ? Probablement... et ce sont les dessins de ce dernier qui ont inspiré les décors de scène pour une pantomime
Omaï – Voyage around the world avec dans le rôle principal le personnage de ce jeune natif des îles de la Société que Furneaux avait accueilli à bord de l’
Adventure en 1773.
Cette pantomime était d’un genre nouveau, à la fois du style « commedia dell’Arte », et à la fois un mélange de tableaux théâtraux, de chansons et de danses ; le tout composait une grande farce…
Les dessins de John Webber fournissaient des témoignages de premier ordre quant aux costumes indigènes et quant aux décors en reproduisant des paysages que ce dernier avait découverts dans ces îles lointaines.
Qui était ce Omaï (ou plutôt Maï) ?
(nous l'avons déjà évoqué brièvement)
Il s’agissait du fils aîné de propriétaires terriens de Raiatea. Vers 1763 alors qu’il était encore enfant, des hommes de Bora Bora envahirent Raiatea, son père fut tué et le reste de la famille s’enfuit à Tahiti.
Maï avait jaugé de la puissance de feu des Anglais et il voulait, comme l’avait aussi souhaité Tupaia, embarqué par Cook lors du 1er voyage, aller chercher à Londres de quoi combattre ses ennemis.
À bord de l’Adventure, il arrivera avant le navire de Cook à Londres car une mésaventure tragique va conduire Furneaux à rejoindre directement l’Angleterre : un groupe de ses marins est victime d’actes de cannibalisme. Choqué, il n’attendra pas Cook et rentrera en Angleterre avec Maï le 14 juillet 1774. Joseph Banks prendra alors le jeune Polynésien en charge et lui fera découvrir la société londonienne. Maï se laissera faire docilement.
La
Resolution dirigée par Cook continuera ses explorations, et James Cook sera de retour en Angleterre le 29 juillet 1775. Sa renommée n’est plus à faire.
Il repartira assez rapidement puisque la troisième expédition prendra la mer le 12 juillet 1776, sa mission étant de trouver le passage du Nord-Ouest mais officiellement, il s’agit de ramener Maï. Malheureusement la vie de ce dernier sera brève, il mourra à Tahiti en 1779 avant d’avoir pu entreprendre quoi que ce soit contre ses ennemis.
Contrairement à Tupaia, on a des portraits de Maï en prince des mers du sud, romantique… des portraits erronés et plaisants afin d’être en phase avec le goût de la société londonienne car Maï avait adopté dés le début la mode anglaise pour se vêtir.
La pantomime de 1785 était ainsi une pure fiction et ignorait les faits réels, elle brossait plutôt une rencontre idéale entre les Européens et les Tahitiens, prétextant par exemple que Maï était venu en Angleterre dans le seul but d’y chercher une épouse. Mais si l’histoire était une fable, les costumes et décors se voulaient réalistes.
La dernière scène du spectacle était constituée d’une procession d’une soixantaine de personnages en costume et portant des objets indigènes. Peut-être ces derniers étaient-ils la possession de Webber ?
On sait que De Loutherbourg était lui-même un amateur d’armes et de curiosités ; dans la vente de sa collection en 1812, il est noté qu’un pectoral de Tahiti et qu’un casque de plumes des îles Sandwich (Hawaii) furent vendus. Est-il possible que ces pièces aient été collectées par Webber, puis données ou vendues à Philippe-Jacques De Loutherbourg ?
Il semble difficile de juger de l’exactitude de ces dessins car on a reproché à de Loutherbourg d’accentuer les effets de sublime...
D’autre part, les portraits de Maï rendent une impression de personnage de haut rang dans sa société, avait-il aussi apporté des objets ?
Sur le beau dessin de Nathaniel Dance, on remarque qu’il porte un tabouret tahitien. Il semble qu’il y ait d’autres artefacts qui furent conservés longtemps par la famille de Tobias Furneaux et vendus chez Christie’s en 1986.
Parmi « les reliques d’Omaï », le tabouret fut acheté par le musée de Tahiti et des îles (1), les autres ont été achetées par un collectionneur australien. Ce n’est que récemment que le Maritime Museum de Sidney a ainsi acquis deux
Akua-Tua des Tonga et une
patu maorie.
La pantomime mise au point par De Loutherbourg apportait-elle quelque précision à la connaissance ethnographique ? La réalisation de décors, l'effet de lumières, la machinerie constituée de miroirs et poulies qui permettait d’animer certaines scènes ont probablement contribué à semer les graines de ce qui sera bien plus tard le cinéma ethnographique.
à suivre
Note 1 :
En savoir plus sur le tabouret de Mai
Bibliographie :
• Cook & Mai,
The cult of the South Seas, 2001, National Library of Australia.
• Gapps, Stephen, 2009-2010, « Omai Relics from the Furneaux Collection » in
Signals 89,
en ligne.
• KaepplerA.L.(ed.), 1978,
Cook Voyage artefacts in Leningrad, Berne and Florence museums, Honolulu : Bishop Museum Press.
• Kaeppler Adrienne L., 2011,
Holophusicon. The Leverian Museum. An Eighteenth-Century English Institution of Science, Curiosity, and Art, Altenstadt, ZKF Publishers-Museum für Völkerkunde Wien.
Photo 1 : Dessin de Phillipe-Jacques d'un prêtre tahitien.
Photo 2 : Portrait de Maï d'après Joshua Reynolds, Gravure 1777, ©The British M. 2006,U.145.
Photo 3 : Portrait de Maï d'après Nathaniel Dance, 1774.
Photo 4 : Dessin de Phillipe-Jacques de Loutherbourg d'un homme de Nootka Sound.
Photo 5 : Dessin de Phillipe-Jacques de Loutherbourg d'un guerrier Maori.
Photo 6 : Couverture du catalogue Christie's, 25 juin 1986.
Photo 7 : Les objets d'Omai de la vente ©Australian National Maritime museum n° 46676 46677 46678.