Idée bien curieuse que d'aller au pôle afin de dénicher quelques objets africains... heureusement, la visite du Kunstkammera de Saint Pétersbourg s'avėra bien suffisante et riche de découvertes muséographiques au travers de dioramas quelques peu poussiéreux et cependant d'un charme désuet.
Mais par quelles circonstances trouve-t- on des collections africaines au sein de ce musée septentrional ?
Créé par Pierre le Grand et achevé en 1727 au bord de la Neva, ce qui était au départ un cabinet de curiosités avec moult naturalia et artificalia, avec entre autres une collection de monstruosités anatomiques, devint le musée d'ethnographie et d'anthropologie de Saint- Petersbourg en 1878.
Les premiers objets africains à entrer dans les collections furent ramenés par un capitaine de navire français Leopold Garraud qui fit un don de 24 oeuvres à ce qui allait devenir le musée d'ethnographie en 1866. Il s'agissait essentiellement de flèches, d'armes, d'objets du quotidien en provenance du Dahomey, Gabon, Congo et Angola.
Pourquoi cette donation ? Au sujet de Léopold Garraud, on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'il était originaire de Toulon.
À la fin du siècle, l'ethnographe, géographe et naturaliste Johann Wilhelm Junker passa près de 10 annėes en Afrique, documenta précisément la vie et coutumes de plusieurs populations telles les Dinka, Shilluk, Anuak, Kera, Bari et Nyangbara , puis les Bongo, Zande, Mangbetu, et les pygmées Akka.
Il rapporta une importante collection de spécimens zoologiques mais aussi ethnographiques : des objets essentiellement de la vie courante arrivèrent au Kunstkamera mais aussi en Allemagne et aux Pays Bas.
Les collections s'enrichirent par la suite avec notamment les apports d'Alfred Mansfeld, Leo Frobenius, Emil Golub...
Ce dernier, de nationalité tchèque, avait étudié la médecine à Prague. Il partit en 1872 pour l'Afrique du Sud où il passa sept ans. Au cours d'un second voyage en 1883, il parcourut pendant 4 années le Nord du fleuve Zambèze et collecta plus de 40 000 spécimens de la culture matėrielle, de la flore, la faune, la minéralogie.
Il donna une grande partie de sa collection aux universités dans lesquelles il enseignait. Ainsi, devait-il venir donner des cours en Russie, mais la maladie l'en empêcha. Quoiqu'il en fut, 71 objets collectés lors de son parcours au Nord du fleuve Zambèze rejoignirent en 1894 les collections ethnographiques du musée de Saint Petersbourg...
L'histoire des collections est toujours riche de personnages hauts en couleurs, d'aventuriers, d'histoires mystérieuses...
Celle de Nikolay Leontiev est intéressante pour sa contribution aux collections du Kunstkamera...
En effet, en 1895, cet ancien militaire en retraite fonde la Société Russe de Géographie et monte une expédition en Abyssinie.
Il se présente à la cour de l'empereur Ménélik II comme un colonel doublé du titre de comte et proche du tsar et en mission officielle. En retour, l'empereur envoya une mission diplomatique en Russie qui établit le contact entre les deux pays.
Leontiev se vit conférer en Abyssinie un rang militaire important et fut nommé par Ménélik II gouverneur d'une région nouvellement annexée et encore inexplorée du sud de l'Ethiopie. En 1899, il y organisa une expédition afin d'ėtudier et développer ces régions méridionales. Or entre temps il touchait d'importantes commissions sur des livraisons d'armes russes à l'Ethiopie qui servirent lors de la guerre italo-éthiopienne. En 1901, toute sa fraude fut mise à jour et il dut quitter le pays.
Il rapporta une importante collection d'objets ethnographiques qu'il laissa au musée Russe. En 1925, sa collection de 1200 objets fut attribué au musée d'Anthropologie et d'Ethnographie de Saint Petersbourg.
L'Ethiopie chrétienne fut à la fin du XIX ème siècle une destination d'Afrique privilégiée pour les Russes. En 1895-1896, une mission d'aide médicale fut envoyée en Abyssinie. Lorsque les relations diplomatiques furent ėtablies avec Ménélik II, notamment par l'entremise de Leontiev, une seconde mission médicale russe arriva et fut opérationnelle jusqu'en 1900.
Petit à petit, les Russes allaient trouver moins d'intérêt à leur présence en Abyssinie et en 1906, l'hôpital russe dut fermer. Mais un grand nombre de docteurs russes collectèrent des objets du quotidien et les rapportèrent en Russie.
La collection d'Alexandre Kokhanovsky est en ce sens significative et fut donnėe à l'Académie des Sciences.
Enfin, bien d'autres voyageurs russes contribuèrent à l'enrichissement des collections. Notons encore les apports de Dmitry Alekseyevich Olderogge qui fut en charge du département d'art africain pendant près d'un demi siècle. Il fut en outre le directeur du musée de 1937 à 1943. Olderogge fit des recherches en Egypte, Mali et Ethiopie et rapporta de nombreux objets. Il était particulièrement intéressé par les outils liés à l'agriculture.
Ci-jointes quelques photographies extraites du petit guide disponible au musée (de meilleures qualités que mes propres photos "avec reflets").
On le constatera, les collections sont composées d'objets "ethnologiques", comprenant peu de masques et de sculptures de belle facture.
La muséographie est bien sûr intéressante puisque centenaire.
Dans ce qui suit, la première photographie en noir et blanc montre une vitrine qui était ainsi composée de 1925 à 1938 dont on notera la similitude avec la présentation actuelle. La seconde témoigne de la présence d'Hailé Sélassié en 1959 auprès de Dmitry Oldederogge lors de l'exposition consacrée à l'Ethiopie.
Les collections du musée ne sont pas encore en ligne, seules des photographies anciennes sont accessibles en ligne : Site du Kunstkamera.
Photo 1 : de l'auteure au musée de l'Arctique et Antarctique de Saint-Petersbourg.
Photos 2 à 8 : de l'auteure au Kunstkamera, août 2013.
Photos 9 à 16 : tirées du guide du département Afrique du Musée édité par Valentin F. Vydrin et Yuri K. Christov en 2007.
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